La Bohème à l'Opéra national de Bordeaux

Xl_boheme1 © Guillaume Bonnaud

C'était un événement que cette reprise de Bohème à Bordeaux, dans la proposition scénique signée in loco par Laurent Laffargue en 2007, car elle était retransmise en direct dans la trentaine de multiplexes du groupe CGR disseminés un peu partout dans l'hexagone - une première pour un opéra de Province.
En dépit d'une transposition dans les années soixante, la régie se montre très respectueuse du texte, et fait fonctionner à bon escient tous les signes de reconnaissance d'une jeunesse branchée, protestataire et fauchée : Mimi est habillée comme un baba cool tandis que Marcello peint des toiles de style pop art...
Quant à l'émotion suscitée par la mort de Mimi, elle reste intacte, et bénéficie ici de l'indéniable talent de Lafffargue pour la direction d'acteurs : au lieu de se jeter et d'étreindre le corps inanimé de Mimi, Rodolfo s'avance au contraire vers elle à pas comptés, le visage de plus en plus baigné de larmes (les spectateurs n'étant pas en reste à ce moment précis...), puis fléchit simplement les genoux devant la dépouille de Mimi, comme brisé en deux. Une simplicité et une économie de gestes qui nous a bien plus étreint le cœur que le pathos généralement prodigué dans cette ultime scène.

Le succès de la soirée repose pour grande part aussi sur la direction de Paul Daniel, qui dirige là son premier opéra depuis sa nomination à la tête de l'Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, et qui se montre particulièrement à l'aise dans le chef d'œuvre de Puccini. Sa lecture suscite ainsi l'enthousiasme, fidèle à la partition au point d'en paraître méticuleuse, caractérisée par un lyrisme intense et un incomparable sens du chant. La phalange bordelaise lui répond avec une qualité de timbre et une homogénéité qui forcent l'admiration.

De son côté, le plateau est porté par un couple exceptionnel : Nathalie Manfrino et Sébastien Guèze. Souvent réunis à la scène pour notre plus grand bonheur - ils le seront encore le mois prochain dans une création mondiale à l'Opéra de Metz -, les deux chanteurs ont la jeunesse, la sincérité et la juste compréhension de leur rôle. C'est surtout au premier acte, dans la candeur plus ou moins feinte de la petite brodeuse et le lyrisme des premiers émois, comme au dernier tableau, celui de la consomption de la « petite femme », que la sensibilité de Manfrino emporte l'adhésion. Le timbre pudique mais soutenu, d'une étoffe soyeuse, appuyé sur un souffle égal - et désormais débarrassé du vibrato qu'on lui a autrefois connu -, est bien celui du lirico puccinien. Nous nous souviendrons longtemps de son « Donde lieta », à l'acte III, d'une étreignante et bouleversante sincérité.

Quant à Sébastien Guèze, il s'avère parfaitement à l'aise dans ce rôle qu'il a fait sien, et illumine de son timbre fier l'ensemble de cette première représentation. La voix évolue dans le sens d'un certain élargissement, d'une affirmation plus évidente du registre central, où se lit le désir d'aborder à terme des rôles plus lourds – comme il nous le confiait dans une interview réalisée la veille du spectacle –, tels ceux de Werther ou Don José. L'aigu demeure lui toujours aussi scintillant et facile, le jeune ténor français n'éludant par ailleurs pas le contre-ut de son grand air, qu'il réussit formidablement et que bon nombre de ses collègues transpose le plus souvent. Il forme avec Nathalie Manfrino un véritable traumpaar (couple de rêve), le plus beau et le plus crédible de la scène lyrique française actuelle.

Quant à Georgia Jarman, chanteuse dotée d'un physique particulièrement avantageux, elle campe une superbe Musetta ; après une valse délivrée avec tout l'abattage souhaitable, la soprano américaine apporte beaucoup à l'émotion finale par son engagement et son style. Autre point fort, la présence de l'excellent baryton serbe David Bizic, dans le rôle de Marcello, personnage auquel il apporte son phrasé soigné et un jeu très convaincant. Les deux autres acolytes, Nahuel di Pierro (Colline) et Riccardo Novaro (Schaunard) complètent avec bonheur une distribution dont il faut louer la cohésion, mais surtout le souci de ne jamais laisser la mélodie puccinienne dériver vers un vérisme étranger à sa nature profonde, comme nous avons eu à le déplorer sur d'autres scènes par le passé. Bref, bravo Bordeaux !

Emmanuel Andrieu

La Bohème à l'Opéra national de Bordeaux, jusqu'au 7 octobre 2014

Crédit photographique © Guillaume Bonnaud

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