Rencontre avec Florian Laconi

Xl_laconi © DR

Tout juste sorti des représentations avignonaises de La Bohème, Florian Laconi retrouve Puccini, à Tours cette fois, pour Il Trittico dans lequel il interprète les rôles de Luigi (Il Tabarro) et Rinuccio (Gianni Schicchi). Nous avons saisi l'opportunité de le rencontrer...

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Opera-Online : Vous chantez actuellement dans Il Trittico de Puccini au Grand-Théâtre de Tours. Dans quel état d'esprit êtes-vous. Quel est votre ressenti à ce moment précis ?

Florian Laconi : Je me sens serein, et heureux de retrouver Puccini, qui m’accompagne depuis janvier puisque j’ai chanté La Bohème. J’ai eu des saisons intégralement françaises, mais là, j’avoue que je suis gâté de retrouver - pour trois ouvrages aussi différents que Bohème, Il Tabarro et Gianni Schicchi - ce compositeur que j’adore. Je me sens également chanceux de participer à cette production du Trittico, car l’intégrale est très rarement jouée, alors que je pense sincèrement qu’il ne peut en être autrement, et que ces trois opéras se complètent. Même si certaines combinaisons avec d’autres opéras en un acte peuvent très bien fonctionner, je pense que Puccini a vraiment imaginé ces trois opéras pour qu’ils soient joués ensemble.

Comment procédez-vous lorsque vous préparez un nouveau rôle ? Commencez-vous par lire le livret, ou bien écoutez-vous une version de l’opéra, ou lisez-vous d’abord l’ensemble de la partition ?

Si l’opéra est tiré d’une œuvre littéraire comme c’est le cas dans 95% des cas, je lis toujours l’ouvrage, car même si le librettiste prend ensuite des libertés pour l’adaptation, il a lu le roman ou la pièce originale, et s’en est inspiré. Je pense que même si le Carmen de Bizet n’a presque plus rien à voir avec celui de Mérimée, il est capital de le relire afin de comprendre le caractère et le passé de Don José et, honnêtement, on ne le joue plus de la même façon après l’avoir lu. Après la découverte de l’œuvre « genèse » de l’Opéra, j’en écoute une version musicale (en évitant les versions vidéos pour ne pas être inspiré par ce que je vois) afin de m’imprégner de l’ambiance (évidemment, je préférerais être pianiste et me jouer la musique au piano, mais ce n’est pas le cas). Ensuite, arrive le travail du déchiffrage purement « technique » du rôle, avec le pianiste/chef de chant qui corrige et m’aide à apprendre la musique de manière pure et presque « mécanique ». Quand vient l’heure de l’étape du « par cœur », je reprends une version discographique, non pas pour apprendre bêtement, mais parce que j’aime comprendre aussi ce que fait l’orchestre, quel instrument joue la phrase mélodique qui précède mon intervention, ou ce qu’il y a comme accompagnement à tel ou tel moment. Il m’arrive même souvent de faire ce travail avec la partition du chef d’orchestre que l’on appelle le « conducteur », afin de comprendre la mécanique profonde d’une œuvre. Je trouve cette étape passionnante.

Comment aborde-t-on un rôle ? Vocalement d’abord ou scéniquement ?

Pour ma part, le premier jour de répétition, j’arrive comme un matériau totalement brut, en sachant mon rôle. Evidemment, je me suis posé des questions et j’ai tenté de trouver des réponses. Mais seront-elles les mêmes que celles du chef d’orchestre ou du metteur en scène ? Voila pourquoi j’ai tendance naturellement à faire confiance à ces maîtres d’œuvres afin qu’ils m’aident, grâce à leur savoir-faire et à leur réflexion, à tailler et polir la pierre brute que je leur apporte. Le but est que l’on puisse créer un personnage unique, qui sera le fruit d’un travail commun, ce qui me semble être l’essence même du travail scénique et musical d’un opéra.  Ensuite, il y a une sorte de compromis à trouver entre les exigences scéniques et vocales : la mise en scène doit parfois s’adapter aux difficultés vocales et certaines intentions vocales se trouveront grâce à une réflexion scénique. Voilà pourquoi je ne pense pas qu’il y ait d’ordre pour aborder un rôle mais que tout se complète au final.

Ne pensez-vous pas que les rôles de ténors sont souvent moins intéressants dramatiquement que ceux des barytons ? Les personnages de ténors ne sont-ils pas un peu « monochrome » ?

Pour avoir été l’élève de Gabriel Bacquier, je me suis souvent fait cette remarque. Scarpia, Falstaff, Gianni Schicchi, Dulcamara, Iago, Don Giovanni…voilà des rôles qui me font regretter d’être ténor ! Je le dis d’autant plus sereinement que j’ai fait, depuis quelques temps, la paix avec ma voix de ténor à qui j’en voulais de ne pas me permettre d’aborder des rôles dramatiquement plus profonds. J’ai eu depuis quelques années l’occasion de croiser la route de compositeurs et de personnages qui vont d’avantage dans la direction vers laquelle je souhaite aller (Hoffmann, Lenski, Don José), des rôles qui ne tombent pas dans les clichés du jeune premier, qui ont des blessures profondes, qui me procurent une palette de couleurs et de sentiments beaucoup plus large pour les créer et les faire vivre. Ces personnages, je les aime profondément. Sans aller jusqu’à dire qu’ils sont monochromes, car ils ont tous un caractère propre à eux, il est vrai que nous, ténors, avons très souvent le même type d’emploi. A nous ensuite, par nos réflexions, nos lectures, notre vécu, de leur donner du caractère et des particularités qui feront d’eux un personnage unique.

A ce stade de votre carrière, quel rapport entretenez-vous avec votre voix?

Nous sommes un vieux couple, on s’aime beaucoup même s’il nous a été très difficile de nous apprivoiser : au lieu de nous écouter mutuellement, elle et moi, nous avons écouté d’autres personnes qui nous disaient tout et son contraire… Comment voulez vous que l’on s'y retrouve dans ces conditions? Du jour où l’on a commencé à se faire confiance, ma voix et moi avons réellement entamé le travail que nous voulions entreprendre. J’en prends soin, et elle me le rend bien car elle ne m’a jamais vraiment trahi ; quand je la sollicite trop, elle me le fait comprendre. Mais dans le sens où je la connais par cœur à présent, et où je sais ce que je peux lui demander ou pas, je suis le seul à décider de ce que j’accepte ou pas. Il y a deux personnes dans mon entourage qui connaissent ma voix aussi bien que moi, je me tourne vers elles quand j’ai un doute, mais c’est tout. Les « Tu ne devrais pas chanter ça » ou « C’est encore trop tôt pour toi » ou encore « Si tu chantes ça, je ne te donne pas deux ans avant de t’arrêter » n’ont plus droit de cité. Cela fait 15 ans que j’entends ce genre de discours et depuis mon début de carrière, je n’ai JAMAIS fait une annonce pour dire que j’étais malade au début d'un spectacle, et je n’ai JAMAIS annulé une représentation ;  je pense qu’il n’y a pas de hasard. Je sais ce dont je suis capable, et ce que je ne peux pas faire. J’ai toujours à l’esprit que nous n’avons qu’une seule voix, et qu’il serait dommage, par manque de patience ou de lucidité, de la détruire.

La voix d'un ténor change toujours au cours d'une carrière : comment a évolué la vôtre ? Quelles ont été les étapes vers des emplois plus graves et plus sombres ?

Toutes les voix changent, mais dans le sens où celle de ténor est une voix « artificielle », elle évolue en effet bien différemment. Je crois que depuis 2008, depuis L’Elisir d’amore à l’Opéra d’Avignon, je chante MON répertoire d’opéra. J’ai eu la chance, dans les années qui ont précédé, d’avoir eu une certaine agilité dans les vocalises et une facilité dans l’aigu qui m’ont permis de chanter un répertoire plus léger, Rossinien et Mozartien particulièrement. Mais ce n’était pas vraiment ma voix, j’essayais de faire illusion, ça marchait plutôt bien, mais ce n’était pas très probant. Là où j’ai vraiment laissé la voix se préparer à l’avenir, ce fut en interprétant les seconds ténors d’Opéra (Pong et Pang de Turandot, Tybalt de Roméo et Juliette, Arlecchino de Pagliacci, Remendado de Carmen, Arturo de Lucia di Lammermoor, etc. ) : j’apprenais mon métier (aux cotés de grands artistes, en les écoutant et les regardant faire) sans prendre de risques prématurés dans les premiers plans, et je laissais la voix mûrir tranquillement. Puis avec patience et réflexion, j’ai abordé les rôles majeurs de mon répertoire actuel.

Kiri Te Kanawa a récemment déclaré : « Les chanteurs sont en train de devenir plus beaux que leur voix » Qu'en pensez-vous ?

Je trouve la formule un peu dure. Mais il faut avouer qu’avec l’arrivée de certains médias, l’image est devenue très importante et que certains physiques ont été proscrits des scènes lyriques. Je me demande toujours si, avec leurs physiques massifs, certains illustres chanteurs du passé auraient fait la même carrière aujourd’hui. Je trouve cela dommage, car je pense que l’on peut passer à coté de voix extraordinaires.

Êtes-vous sensible aux lieux ? Y a-t-il encore des maisons d’opéra où vous aimeriez débuter ?

Je suis en effet très sensible aux lieux, et souvent pour l’histoire qui fut la leur. Savoir que, quand je chante à Orange, je foule la même scène que tous les plus grands chanteurs du passé, me remplit de fierté. Je chante dans des lieux que j’aime car, par leurs équipes artistiques et techniques, ils ont une belle âme : c’est vraiment une chance. Et il est évident que j’aimerais chanter un jour au Metropolitan de New York ou à la Scala de Milan, pour l’histoire lyrique que représentent ces lieux

Pourriez-vous citer un souvenir particulièrement marquant sur une scène d'opéra ?

En citer un seul, ce serait en trahir beaucoup d’autres. Mes premiers pas sur la scène des Chorégies d’Orange ou de l’Opéra Bastille, être le premier Roméo de Sonya Yoncheva sous la Baguette d’Alain Guingal, chanter « Anges du Paradis » de Mireille sous une superbe voûte étoilée estivale sur la scène du Théâtre Antique d’Orange, partager la scène avec Bryn Terfel…furent des moments qui ont tout simplement marqué pour toujours ma vie de chanteur. Mais je crois que le souvenir que je garderai toute ma vie sera surtout d’avoir été le Des Grieux de Patrizia Ciofi : cette artiste est particulièrement époustouflante. Comme on dit, elle se « brûle » sur scène. Avoir une telle partenaire m’a réellement porté et m’a poussé vocalement et dramatiquement dans des retranchements que j’ignorais et dans une humanité scénique si vraie que nous étions Manon et Des Grieux.

Quels sont les projets qui vous tiennent particulièrement à cœur, et y a-t-il des œuvres que vous rêveriez d'aborder ?

Les projets qui me tiennent à cœur, sont en premier lieu ceux pour lesquels je vais retrouver des gens que j’aime, et avec qui le travail n’en est pas, mais où le plaisir primera : par exemple Carmen en Avignon en juin 2016 où je retrouverai Karine Deshayes et le chef Alain Guingal. Il y a d’autres projets que j’attends avec beaucoup d'impatience, mais dont je ne peux pas encore parler. Quant aux œuvres que je rêverais d’aborder, elles sont nombreuses, mais comme j’ai déjà un répertoire très fourni, je pense que ces rôles sont pour un avenir assez lointain encore. D’ici huit à dix ans, en approchant de la cinquantaine, si ma voix me le permet toujours, j’aimerais aborder des rôles comme Otello, Canio ou même pourquoi pas faire une incursion vers Wagner, avec Erik du Vaisseau Fantôme ou le rôle-titre de Lohengrin. Cela étant, à l’heure actuelle, il y a certains rôles que je n’ai jamais chantés et que j’aimerais beaucoup aborder un jour, comme Edgardo dans Lucia di Lammermoor, Don Carlo ou encore Idomeneo !

Propos recueillis à Tours par Emmanuel Andrieu

Florian Laconi à l'affiche du Trittico de Giacomo Puccini au Grand-Théâtre de Tours - Les 13, 15 & 17 mars 2015

 

 

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