La Walkyrie actée à la Philharmonie de Paris

Xl_dscf5355 © Thibault Vicq

Les opéras de Wagner nous avaient manqué à la Philharmonie de Paris depuis la Tétralogie de 2018 par Valery Gergiev et son Orchestre du Mariinsky. En ce début d’automne, l’Orchestre de Paris s’aventure sur le territoire de La Walkyrie, du moins de son premier acte. Avant toute chose, il faudrait s’attarder sur l’accomplissement de la phalange du 75. Les violoncelles et contrebasses sont le poêle qui fait tourner la machine. Ils coulent le son, donnent de l’épaisseur à l’avancée dramatique, gardent vivaces les lueurs d’une flamme qui jamais ne s’éteint. L’ensemble des cordes se fond en un tout comme un caméléon dans les significations de la musique. Les violons sont sophistiqués, les altos épanouis. Les bois, nets et directs, parlent une langue de l’authenticité. Un cycle naturel s’installe en bonne compréhension mutuelle entre les pupitres. Les percussions jouent les arbitres quand il le faut et les cuivres participent à cette expression d’une nature héroïque en mouvement – même si quelques cors, trombones et Tubens semblent un peu fâchés avec le flux rythmique et la constance de la justesse.

La baguette de Jaap van Zweden, approuvée sur la même œuvre au Gstaad Menuhin Festival il y a trois ans, permet à l’orchestre de se placer « à l’intérieur » des chanteurs, les plaçant avec leurs doubles multi-instrumentaux. Dans le duo d’amour de Siegmund et Sieglinde, nous ressentons le souffle des deux protagonistes dans des chromatismes unifiés. Le chef néerlandais renouvelle sans cesse l’oxygène de ses phrases pour intensifier la magie du moment. Il ouvre et dévoile le récit, le réenveloppe dans sa forme la plus aboutie. Il manipule le magma fumant dans la paume de sa main, concentre ses atmosphères, et les distille ensuite. Le Prélude de Tristan et Isolde, interprété en première partie de concert, perce de bouleversante fantasmagorie et fait résonner les silences. L’économie des ralentis offre le loisir à la partition de trouver une temporalité plus humainement plausible qu’un idéal fluctuant. Dans la Mort d’Isolde, la distribution des rôles est trop évidente, chaque solo est pile à sa place, sans surprise. La texture tourbée du reste de l’Orchestre de Paris est plutôt appelée à la force qu’à la transcendance. Malgré une science lumineuse de l’éclat majeur, l’effet milk-shake de l’ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg emprisonne le génie musical dans une bouteille. Nous entendons une densité de rouleau compresseur qui impressionne par la forme, mais tend malheureusement à uniformiser le discours.

La soprano Jennifer Holloway, déjà Sieglinde à la Staatsoper Hamburg en 2018, délivre une invitation au confort et à la confiance par une émission solennelle et une phrase infinie. La moindre note est une base ou un jalon de son sillage musical. Sa voix d’hydromel et sa prosodie cristalline triomphent des changements de registres dans une tornade de générosité. Siegmund apprécié par nos confrères allemands à Munich, Stuart Skelton confirme son statut de roi des consonnes. Son chant a presque un goût et une odeur, tant il incarne une vérité. Il ne fait qu’une bouchée des volumes de l’orchestre, et c’est par le voyage musical qu’il construit la tournure de ses légatos. C’est un volcan attendant son réveil. Son « Wälse » sonne cependant un peu souffrant, et une horizontalité dans les vingt dernières minutes le met parfois en péril pour garder certains aigus. Au contraire de ses équipiers, Mika Kares ne raconte pas grand-chose car il reste dans le note-à-note, difficilement juste de surcroît, ce qui n’entache que peu le plaisir de la soirée, dû en grande partie à l’orchestre.

Thibault Vicq
(Paris, 6 octobre 2021)

Crédit photo © Thibault Vicq

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