Un Don Giovanni 5 étoiles au Concertgebouw de Bruges

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Ville la plus visitée de Belgique, Bruges est une sorte de miracle de l’histoire. Tombée dans un sommeil de quatre siècles, la cité médiévale n’a pas connu l’industrialisation et ses magnifiques bâtiments anciens ont été judicieusement restaurés lors de la vague néogothique du XIXe siècle. Ce qui lui vaut, pour son centre historique, un classement au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Le miracle de la ville est aussi qu’il suffit souvent de passer quelques ponts - et quitter un centre grouillant de vie… - pour découvrir, un peu plus inaperçus, les aspects romantiques et mystiques de l’âme flamande. Mais Bruges, c’est aussi son moderne et formidable vaisseau de béton et de verre dédié à la musique (et aux arts vivants en général), le Concertgebouw, construit en 2002 (alors que la ville était Capitale européenne de la culture), et qui abrite deux salles d’une capacité respective de 1300 et 300 places. Avec quasiment un spectacle chaque soir, cette structure unique n’a ainsi rien à envier avec l’offre de certaines capitales européennes…

En ce samedi 19 octobre, c’est « l’opéra des opéras » - pour reprendre la célèbre formule de Richard Wagner - qui est donné en version de concert, mais ce Don Giovanni-là sera plus vivant que prévu, et, surtout, l’un des plus accomplis qu’il nous ait été donné d’entendre. Pas de chanteurs devant leurs pupitres, donc, mais des êtres de chair et de sang (et en costumes... rouge-sang pour le héros !) qui interagissent entre eux, et qui se meuvent devant l’orchestre, ou sur l’estrade qui a été emménagée derrière ce dernier, sur laquelle déambule également le chœur lors de ses rares interventions. Tous les chanteurs réunis ce soir étant par ailleurs de formidables comédiens, les auditeurs deviennent tout autant spectateurs, et la soirée file à toute vitesse, happant littéralement autant les flamands que les nombreux touristes présents dans la salle.

Déjà plébiscité dans un ouvrage de Wolfgang Amadeus Mozart, une Flûte enchantée genevoise où il incarnait un rayonnant Papageno, le baryton allemand André Morsch confirme ses qualités de comédien et compose un fabuleux Don Giovanni, personnage dont il a le charisme et l’assurance (tour à tour impertinent, cassant et cruel...), mais aussi la voix, ferme et magnétique à la fois. Son collègue néerlandais Henk Neven, quant à lui particulièrement applaudi à Dijon dans le rôle de Pollux (dans l’ouvrage éponyme de Rameau), possède également un beau grain de voix, plus clair cependant, ce qui s’avère parfait ici pour traduire les tourments et les espoirs de cet éternel second qu'est Leporello. Le vétéran britannique David Wilson-Johnson (né en 1950) tonne et menace sans faiblesse en Commandeur, sa basse profonde donnant particulièrement le frisson dans la scène finale. Superbe Don Ottavio du ténor étasunien Thomas Cooley, au timbre lumineux, et dont le legato fait merveille dans le fameux « Il mio tesoro ». De son côté, le néerlandais Berend Eijkhout incarne un brave Masetto, à l’allure dégingandée et à la voix saine.

Du côté des femmes, l’américaine Katharine Dain domine avec beaucoup d'aisance les aspérités de Donna Anna, et impose un phrasé des plus expressifs. La révélation de la soirée est cependant la mezzo irlandaise Paula Murrihy, qui incarne une Donna Elvira dramatiquement très investie, tour à tour agaçante et pitoyable dans son personnage d’épouse trompée. Vocalement, elle déconcerte par la facilité et l’homogénéité de son émission dans une tessiture où tant de ses consœurs peinent à unifier tous les registres. Et Zerlina revient à la soprano néerlandaise Rosanne van Sandwijk, dont on apprécie le timbre fruité.

Quel bonheur, enfin, de retrouver l'excellent chef nord-irlandais Kenneth Montgomery, qui dirigeait le concert de notre première chronique sur Opera-Online - Orphée et Eurydice à l'Opéra de Marseille -, et que nous n'avions point réentendu depuis... A la tête d’un Orchestre du XVIIIème siècle et d’une Capella Amsterdam impeccables, il offre une lecture tendue, nerveuse, et hautement dramatique de ce chef d’œuvre absolu : un Mozart jeune, chargé d’énergie, et constamment percutant.

Une soirée cinq étoiles qui se termine en beauté par une interminable standing ovation. Vivent en effet tous ces magnifiques artistes, et vive Bruges (et sa superbe salle de concert) !

Emmanuel Andrieu

Don Giovanni de W. A. Mozart au Concertgebouw de Bruges, le 19 octobre 2019 (puis en tournée dans le Benelux).

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