Jonas Kaufmann, Prince du château de Peralada (et de son festival)

Xl_jonas2 © Miquel Gonzalez

La veille d’une Thaïs en version de concert réunissant à l’affiche Ermonela Jaho et Placido Domingo, c’est une autre légende du chant lyrique qui a fait l’honneur de sa présence au désormais très couru Festival Castell de Peralada – Jonas Kaufmann – quelques jours seulement après sa double apparition au Festival d'été de Munich dans La Walkyrie puis dans Parsifal (nos confrères allemands y étaient).

A Peralada, c’est à une soirée dédiée au répertoire français et à Richard Wagner que l’illustre ténor allemand convie le public très international de la manifestation catalane, avec pour accompagnement l’Orchestre du Teatro Real de Madrid, placé sous la direction du chef allemand Jochen Rieder. Après une exécution de la Bacchanale de Samson et Dalila assez décevante, il faut bien l'avouer (car bien avare de clinquant et de chatoyance), le premier air de la soirée (« Ah lève toi soleil » tiré de Roméo et Juliette de Gounod) prend également le ténor à froid, manquant lui aussi de la lumière et de la générosité attendues dans cette page solaire. Mais on est immédiatement rassuré grâce à une « Fleur que tu m’avais jetée » (Carmen), chantée à mi-voix, couronnée par ce Si bémol piano que Bizet souhaitait : Don José, à ce moment là, apparaît bien comme une « chose » qui ne s’appartient plus… Le programme va ensuite crescendo – et nos palpitations cardiaques aussi – avec le sublime air d’Eléazar dans La Juive de Halévy « Rachel, quand du seigneur… ». Kaufmann s’y investit corps et âme, avec une insolence inouïe dans l’aigu qui fait regretter qu’il n’ose pas l'extraordianire cabalette qui suit (« Dieu m’éclaire ! »). Il clôt la partie française avec un autre air redoutable, « Ô souverain, ô juge, ô père », tiré du Cid de Massenet, dans lequel il enchante et subjugue à nouveau par l’art de la demi-teinte qui y est déployé. Sa ligne de chant aristocratique, son phrasé prodigieux et sa diction parfaite y font à nouveau merveille. Et son timbre, aussi admirable que généreux, si immédiatement reconnaissable, y procure toujours le même plaisir « physique »…

Après l’entracte, place à Wagner ! Entrecoupé par les ouvertures et préludes orchestraux obligés (La chevauchée des Walkyries, ouverture des Maîtres-Chanteurs, prélude de Lohengrin) – mais qui tombent tous un peu à plat sous la baguette languide et décidément peu inspirée de Rieder (mais il apparaît que ce chef a surtout été choisi pour ne pas faire de l’ombre au divo…) –, Kaufmann offre trois airs tirés d’ouvrages de l’Echanson de Bayreuth. Après un air de Siegmund (« Ein Schwert verhiess mir der Vater ») dans lequel il tient les deux fameux « Wälse ! » de manière aussi interminable que fracassante, c’est surtout celui de Walther dans les Maitres-ChanteursMorgenlich leuchtend im rosigen Schein ») – miracle de ductilité et de poésie mêlées – qui émerveille. Emerveillement renouvelé avec l’ineffable « In ferme land » (Lohengrin), stupéfiant de beauté stylistique, et aux piani aussi impalpables qu’inoubliables ! Son récit du Graal, intériorisé et douloureux, prend à la gorge, et confirme qu’il est le meilleur Lohengrin de notre époque.

Jamais avare de bis, et de toute façon obligé de ployer devant le tonnerre d’applaudissements qui couronne la soirée, Jonas Kaufmann s’attèle à un « Pourquoi me réveiller » (Werther) qui tire les larmes, puis à un éblouissant « Winterstürme wichen dem Wonnemond » (extrait de La Walkyrie). Disparue il y a peu, c’est à la fondatrice du Festival (et propriétaire du château) Carmen Mateu que Kaufmann dédie son dernier bis, le bouleversant « Träume », dernier des cinq Wesendonck lieder de Richard Wagner, qu’il délivre comme dans un murmure, et dans ce qui est certainement le climax émotionnel d’une soirée qui n’en a pas été avare…

Emmanuel Andrieu

Jonas Kaufmann en récital au Festival de Peralada, le 28 juillet 2018

Crédit photographique © Miquel Gonzalez

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading