Berlin 2016/2017 : innovation et grandes voix toujours

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La scène lyrique berlinoise, avec ses trois grandes scènes, est toujours et encore la plus riche du monde, pour un public certes moins vaste que dans de plus grandes métropoles, mais passionné et connaisseurs. Des dizaines d’opéras en une saison, parfois dans plusieurs productions au choix, et des tarifs imbattables à ce niveau de qualité : que demander de mieux ? La palme de l’originalité revient, c’est désormais une tradition, à l’Opéra-Comique : installée dans une salle qui avait été dans les années 20 un des hauts lieux de l’opérette berlinoise, plus acide et moins conformiste que sa consœur viennoise, la maison dirigée par Barrie Kosky propose depuis des années la redécouverte de titres souvent totalement oubliés, dans des mises en scène qui les protègent de toute ringardise. Ce sera le cas, pour la saison prochaine, des Perles de Cléopâtre d’Oscar Straus et de Bal au Savoy, toutes deux dans des mises en scène du maître de maison, mais on ira aussi voir du côté de New York, avec Marinka, l’une des dernières œuvres d’Emmerich Kálmán, et avec une reprise de l’inusable My Fair Lady. Il serait fastidieux d’énumérer tous les titres de cette nouvelle saison, mais il faut en citer quelques-uns pour évoquer la diversité de ce répertoire : une reprise des Maîtres-chanteurs de Nuremberg par Andreas Homoki pour les grands formats ; La foire de Sorotchinski, opéra inachevé de Moussorgski, côté raretés ; Le Barbier de Séville par un metteur en scène prometteur, Kirill Serebrennikov, pour le grand répertoire ; et les extrêmes chronologiques du répertoire avec un nouveau Zoroastre de Rameau par Christian Curnyn et Tobias Kratzer d’une part, et la très réussie Médée d’Aribert Reimann, créée en 2010 : ce sera le retour à Berlin de Benedict Andrews après son merveilleux Ange de Feu, qu’on verra d’ailleurs la saison prochaine à Lyon. Dans tout cela, les chanteurs et les chefs ne sont pas de ceux qui font les gros titres de la presse musicale ; ce qui frappe, cependant, dans cette maison, c’est l’enthousiasme avec lequel tous s’investissent dans les projets les plus divers, et cela fait oublier bien des imperfections.

La Deutsche Oper, l’ancien opéra de Berlin Ouest, propose elle aussi un vaste répertoire, avec un réel effort d’originalité : comme beaucoup de grandes maisons, elle cherche à se distinguer par ses nouvelles productions, quitte à se contenter de routine pour le répertoire courant (Götz Friedrich, mort il y a plus de quinze ans, est toujours très présent). Il y a bien des nouvelles productions de Così fan Tutte, du Vaisseau Fantôme et de Boris Godounov (en provenance du Royal Opera), mais le spectacle le plus attendu par les lyricomanes de toute l’Europe, ce sont les Huguenots, montés par David Alden, et avec Patrizia Ciofi et Juan-Diego Flórez : la redécouverte de Meyerbeer passe par Berlin, et la présence de stars aidera certainement. Plus rare dans la maison, une création est annoncée : ce sera Edouard II d’Andrea Scartazzini, d’après Marlowe.

C’est cependant sans nul doute la Staatsoper qui, à Berlin, est au plus près de ce qu’on attend d’une grande maison lyrique, avec un mélange équilibré de raretés et de grand répertoire, et des grands noms aussi bien en fosse que sur scène. En fosse, c’est naturellement Daniel Barenboim qui fait les gros titres : c’est lui qui accueillera Plácido Domingo et René Pape dans Macbeth, lui qui dirigera pour le très solennel festival de printemps le Parsifal mis en scène par Dmitri Tcherniakov, lui aussi qui fera courir les foules européennes pour une œuvre rarement donnée hors d’Angleterre, The Dream of Gerontius d’Elgar – la distribution, dominée par Thomas Hampson et Jonas Kaufmann, y sera évidemment pour beaucoup. Surtout, il dirigera pas moins de trois des huit nouvelles productions : lui qui se réserve habituellement le répertoire germanique sera là pour Fidelio, avec Andreas Schager, passé en quelques années de l’anonymat de la troupe aux premiers rôles les plus héroïques, et il accompagnera aussi l’entrée au répertoire de l’Elektra aixoise de Patrice Chéreau, avec une bonne partie de la distribution originale. Mais la troisième première qu’il assurera, elle, peut surprendre : dans une mise en scène du cinéaste Wim Wenders, Olga Peretyatko et Francesco Demuro seront à l’affiche des Pêcheurs de perles de Bizet.

Quand M. Barenboim ne sera pas chez lui, d’autres chefs importants viendront au Schillertheater : c’est d’abord le cas de Zubin Mehta, pour une nouvelle Femme sans ombre explorée par Claus Guth, que devrait dominer le couple de teinturiers formés par Wolfgang Koch et Iréne Theorin. Simon Rattle, le voisin de la Philharmonie, reviendra lui aussi pour une nouvelle Damnation de Faust importée de l’English National Opera : ce sera naturellement son épouse Magdalena Kožená qui sera Marguerite, aux côtés de Charles Castronovo et Florian Boesch ; et il reprendra aussi la Katia Kabanova mise en scène par Andrea Breth, avec Eva-Maria Westbroek dans le rôle principal. Comme chaque année, René Jacobs y présentera aussi un spectacle, King Arthur, dans une mise en scène sans doute plus spectaculaire que profonde de Sven Eric Bechtolf. Mais c’est peut-être un chef moins connu du grand public, Pablo Heras-Casado, qu’il faudra surtout guetter, pour des Noces de Figaro d’autant plus intéressantes qu’elles affichent Ildebrando d’Arcangelo, Dorothea Röschmann, la merveilleuse Anna Prohaska en Susanna et le Chérubin de Marianne Crebassa, un des espoirs français les mieux reconnus à l’étranger.

On le voit, cette saison est finalement moins wagnérienne que ce que voudraient les habitudes berlinoises : les Maîtres-Chanteurs déjà cités de la Komische Oper sont une belle première approche, presque enfantine, d’une œuvre souvent prise très au sérieux ; au lecteur de voir si la dernière apparition du Ring monté il y a plusieurs décennies par Götz Friedrich à la Deutsche Oper vaut le voyage – la distribution ne se distingue à vrai dire guère de ce qu’on voit partout ailleurs. Mais on annonce la saison prochaine d’autres adieux tout aussi attendus : la Staatsoper, qu’on a connu longtemps par son adresse Unter den Linden, devrait quitter à la fin de la saison 2016/2017 ses quartiers provisoire du Schiller-Theater pour regagner en octobre 2017 son adresse historique. À moins que les travaux prennent à nouveau du retard… Reste à savoir ce qu’il adviendra du très agréable, très intime Schiller-Theater. Après le chant, c’est peut-être la danse qui s’y installera durablement. Du moins si le monde politique berlinois, toujours très attentif à la culture mais souvent indécis, parvient à se mettre d’accord pour donner enfin à la danse une place que la domination du lyrique avait jusqu’alors amoindrie.

Dominique Adrian

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