La beauté sombre, tragique et terrible de Kàtia Kabànova

Xl_katiakabanova_liceu_06_apc_a_bofill © Antoni Bofill

Kàtia Kabànova est un opéra d’une beauté sombre, tragique et terrible : une femme prise au piège d’un mariage insatisfaisant en tous points tente d’échapper à la suffocation dans les bras d’un amant encore plus faible que son mari.

Le sentiment de culpabilité et son entourage social oppressant et asphyxiant, notamment incarné par une belle-mère tyrannique, perverse et dominatrice, veilleront à interdire toute autre solution que le suicide à la protagoniste. L’œuvre, que l’on peut rapprocher de Madame Bovary ou même d’Anna Karénine, est justement originale du fait de cette méchanceté humaine omniprésente personnifiée par la belle-mère, qui devient une véritable co-protagoniste de l’opéra.


Katia Kabanova (c) A. Bofill / Liceu

La production, imaginée il y a quelques années par David Alden pour l’English National Opera, présente de nombreux éléments que l’on retrouve dans son travail, comme ces surfaces très inclinées qui gênent les mouvements des chanteurs, mais qui symbolisent l’instabilité des situations dramatiques. La mise en scène est visuellement sévère, sérieuse, épurée à l’extrême, loin du drame rural et du réalisme qui contextualisent habituellement l’œuvre.

Cette production, avec une scénographie de Charles Edwards, échappe à la monotonie et à l’ennui grâce à la vie apportée par l’éclairage riche de sens d’Adam Silverman qui fait un usage presque expressionniste des ombres des personnages projetées sur les murs. Les déplacements fréquents des murs, qui créent les différents espaces de l’intrigue, enrichissent également la mise en scène. Et pour servir cette production à la fois précise et intelligente, une distribution de haut vol est réunie, entièrement dévouée aux intentions du metteur en scène.

Patricia Racette – qui faisait partie de la production originale lorsqu’elle a été présentée en anglais à l’ENO – s’est à nouveau plongée dans l’œuvre, mais dans le texte original en tchèque, pour la présenter à Barcelone. Racette est une grande interprète en tous points : vocalement, évidemment, tout comme en matière de style, mais également en tant qu’actrice capable de transmettre au spectateur toutes les souffrances insupportables, le désespoir et la dimension tragique du personnage. À ses côtés, Rosie Aldridge interprète une belle-mère parfaite, hiératique, monolithiquement mauvaise, froide et cruelle. Michaela Selinger incarne avec talent une jeune Varvara vivante et sûre d’elle, qui échappe à l’oppression en fuyant à Moscou avec son amant.

Le fragile Tikhon, incapable de faire face à sa mère, est parfaitement interprété dans tous ses aspects par Francisco Vas. Saluons également la belle performance de Nikolai Schukoff dans le rôle du frivole et inconséquent Boris, qui déchaînera de manière irresponsable la passion de Kàtia. Alexander Teliga livre le personnage dépravé de Dikoi avec une barbarie un peu excessive. Antonio Lozano, qui interprète Kudriaix, le professeur amoureux de Varvara, le seul homme pour qui ce drame finit bien, propose une interprétation correcte. Josep-Ramon Oliver, Mireia Pintó et Marisa Martins présentent également de bonnes performances dans des rôles mineurs.

Josep Pons, le chef d’orchestre résident du Liceu, assure magnifiquement la direction musicale de la soirée. L’écriture des voix très originale de Janáček est directement inspirée du profil rythmique et mélodique de la prosodie de la langue tchèque poussé à l’extrême, et lui va comme un gant. Il n’est pas facile de lui adjoindre un orchestre qui doit naviguer entre les dissonances typiques du langage musical du XXe siècle, tout en sachant régulièrement aller vers des élans lyriques directement liés au romantisme tardif. Pons et l’orchestre réussissent néanmoins à marier ces deux extrêmes.

traduction libre de la chronique de Xavier Pujol

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