Le Barbier de Séville sur un plateau télé au Macerata Opera Festival

Xl_mof22_anteprimabarbiere_sferisterio_phsimoncini_120 © Simoncini

Le grand spectacle ne se dément pas cette année au Macerata Opera Festival dans les habits neufs du Barbier de Séville. À la manœuvre, l’équipe récipiendaire du Concours international de mise en scène, décors et costumes pour les artistes de moins de 35 ans, qui s’est tenu en 2020 en collaboration avec Opera Europa et le Rossini Opera Festival. Le pitch a cours dans un studio télé. Trois animateurs occupent la grille des programmes : Figaro, avec son émission F*cktotum, sur des rencontres amoureuses chez le coiffeur ; Basilio le rockeur, qui avec La calunnia défait les couples précités ; Rosina, la vedette d’un soap XVIIIe intitulé L’inutil precauzione. Almaviva est un politique influent qui, grâce à ses passe-droits, ses liens avec la police et ses accointances avec le showbiz, déjoue les plans de Bartolo, producteur véreux qui tient la jeune femme prisonnière dans sa loge entre chaque tournage. L’évidente maestria du cuistot scénique Daniele Menghini (qui a également signé l’opéra participatif Une Cenerentola au Théâtre des Champs-Élyseés, et en 2023 à l’Opéra National de Bordeaux) fait mouche et occupe intelligemment l’immense largeur de l’Arena Sferisterio pour épingler le monde des médias. Il égrène les relations de pouvoir et la capacité qu’a le petit écran à détourner l’attention des citoyens. La fabrique de la stupidité implique évidemment le placement de produits, la publicité, le show à tout prix, le sacre du présent et la starification d’un soir adoubés par le pouvoir. Arlequin, figuré par un comédien, symbolise l’ancien monde, mais n’a que ses yeux pour pleurer devant l’arrogance d’une nouvelle génération qui croit avoir tout inventé. Dans ce Barbier, il est plus grave d’interrompre un direct que de dénoncer la séquestration d’une jeune femme. Rosina s’enfuit d’ailleurs à toutes jambes une fois son mariage validé avec Almaviva ! Les opulents costumes (Nika Campisi), les décors réalistes (Davide Signorini) et les lumières aux petits oignons (Simone de Angelis) concourent également à la grande réussite de ce spectacle qui en met plein les yeux, mais toujours avec finesse.

Les oreilles aussi prennent beaucoup de plaisir. Le chef Alessandro Bonato dispense un geste de musicalité permanente, sépare les parties pour les cajoler, et les réunit encore plus soudées. Il rebat les cartes des appuis et ne se suffit pas de coordination instrumentale avec les extraordinaires musiciens de l’Orchestra Filarmonica Marchigiana. L’ouverture dessine une agitation baladeuse addictive, qui ne fera plus échapper l’attention ensuite. Plumes et roquettes constellent sa direction à l’image des rêves picturaux véhiculés par la télévision. Il constitue un patchwork époustouflant des différentes échelles que la musique de Rossini peut revêtir, comme la granité fondante des ensembles ou le staccato caustique. L’articulation juste s’intègre à ce tourbillon sensuel dont on ressort entièrement ragaillardi !

La voix de Ruzil Gatin se modèle sur mesure en fonction des différentes identités que prend Almaviva. Une base pop, des accents de flamenco, des lancées « de rue », du non vibrato, et le tour est joué ! Outre une imperturbabilité notoire de ses moyens – quels aigus et quelle navigation de la ligne ! –, le ténor prolonge l’incarnation jusqu’au-boutiste en jouant la gaucherie dans la partie intrinsèque du chant. Il happe l’auditoire et ne le lâche plus. C’est ce qu’on appelle un carton plein ! Le Bartolo de Roberto de Candia est de la même veine éminente. Rien ne se perd, tout se transforme : il se sert de l’impatience du personnage dans une vocalité qui va droit à l’essentiel du son. Les rafales syllabiques d’ « A un dottor della mia sorte » sont à ce titre tout bonnement prodigieuses. Le génial baratin de Figaro vit une histoire d’amour passionnelle avec le folâtre Alessandro Luongo. S’il marie dynamite et malice en égale quantité, c’est avec l’objectif (rempli) de recoller en musique ce que l’humain peut produire de plus intense, aidé d’un timbre majestueux qui le mène systématiquement sur la bonne voie. Il y aurait un peu à redire sur quelques mini-retards d’attaques (quoique beaucoup moins que le Coro lirico marchigiano « Vincenzo Bellini »), mais quand l’humeur est là et bien là, on signe sans se pencher sur les petits défauts. Une autre chose est sûre, c’est que Serena Malfi s’y connaît en légato soyeux, et en pulpe de note bienfaitrice. Rosina devient ainsi une protagoniste blasée et occupée par ses pensées, qui réussit cependant à émouvoir. La lecture a le mérite de l’originalité, et convainc pleinement jusqu’à ce que surviennent les vocalises. Et là, c’est une autre histoire : celles d’ « Una voce poco fa » passent encore, celles de « Contro un cor che accende amore » tombent à côté. Basilio est un prédateur observateur dans la bouche consciencieuse d’Andrea Concetti, Fiammetta Tofoni (Berta) transporte très loin dans le regret d’une génération perdue (qu’on peut associer à l’Arlequin fantôme de la mise en scène), et William Corrò campe un vif Fiorello. Macerata fournit donc encore des shots de vitalité !

Thibault Vicq
 (Macerata, 14 août 2022)

Le Barbier de Séville, de Gioachino Rossini, au Macerata Opera Festival (Arena Sferisterio) jusqu’au 21 août 2022

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