© Barbara Buchmann
Les vendredi 21 et dimanche 23 novembre derniers, l’Opéra Grand Avignon donnait L’Orfeo de Monteverdi. Après être passée par l’Opéra-Comique de Paris et l’Opéra royal de Versailles, cette production arrivait donc enfin en Avignon pour le plus grand plaisir des mélomanes de la région.
Cet opéra occupe une place à part, importante et même choyée aux cœurs des lyricophiles, parce qu’en donnant naissance au genre auquel ils sont attachés, l’œuvre expose toutes les grandes questions (l’art dans la vie, l’art de l’artiste, l’artiste dans la société, les limites de l’art), tous les horizons (y compris le dionysiaque et l’apollinien), et quasiment toutes les évolutions à venir – le style ancien et style nouveau, la mise en valeur de l’histoire par la musique, ou l’utilisation de la musique afin d’exprimer les sentiments des personnages... En effet, l’histoire du premier, du plus grand et du plus célèbre des poètes allant aux enfers pour y chercher son épouse semble autant une apothéose, une parabole et une réflexion sur l’opéra, la musique et l’art, qu’une apothéose, une parabole et une réflexion sur l’artiste. Wagner avec Tannhauser n’ira pas aussi loin.

L'Orfeo, Opéra Grand Avignon (c) Barbara Buchmann
Il faut bien reconnaitre que cette production de Pauline Bayle, sans perdre le fil de la narration, et même en s’y cantonnant avec une humble mais noble modestie, fait correspondre cet opéra initial avec les futures créations lyriques à venir, ce qui est tout à son honneur. La plus grande qualité de la production, comme la plupart des bonnes productions contemporaines des œuvres de Monteverdi, repose sur la modestie de ses moyens, mais l’efficacité de ses résultats. Ainsi la scénographie n’utilise que peu d’accessoires – des bouquets de pivoines et des costumes de couleurs pour le premier acte, des jeux d’ombres et de lumière, ainsi que des costumes sombres pour les suivants – et concentre de ce fait l’attention du spectateur sur le drame. Le jeu d’acteur est également réduit, mais efficace, avec des gestes exaltés durant le mariage ou mesurés aux enfers. Ses quelques idées fortes ne semblent pas non plus hors de propos, comme le fait que la Musique surplombe la scène du balcon et d’un signe de tête autorise l’orchestre à reprendre après l’entre-acte, ou qu’Orphée fasse venir des musiciens de la fosse à la scène pour le mariage. Cette sobriété est à hauteur d’homme, et d’une humilité rassurante et bienvenue.
L’orchestre du Concert des Nations dirigé ici par Jordi Savall est parfaitement équilibré, ce qui n’est pas un mince exploit étant donné l’hétéroclite de l’orchestre. Sans doute le caractère apollinien de cette production trouve-t-il là néanmoins ses limites, tant il semble restreindre l’emportement, le dionysiaque, presque de vie – en dehors de l’ouverture et du dernier acte, de cette production. L’apollinien est aussi audible dans la façon dont les voix claires, compréhensibles, mais néanmoins virtuoses, sont conduites. Monteverdi voulait concentrer la musique sur le drame, comme plus tard Gluck adapter la musique au libretto. Il n’en oubliait pas pour autant la vivacité des personnages, et sortit de fait les chanteurs, donc les voix, du style ancien pour les amener au style nouveau. Les voix de cette production sont particulièrement bien choisies pour illustrer cela.

Jordi Savall, L'Orfeo, Opéra Grand Avignon (2025)
Le ténor italien Mauro Borgioni en Orphée est ici à son aise avec ce registre annonçant à la fois le sprechgesang de Schoenberg et le style émotif de Mozart. Son adresse à Charon, par exemple est très bien menée. La soprano Marie Théoleyre avec la gracilité de son timbre donne une muse saisissante et une Eurydice en délicatesse. On retiendra son adresse au public initiale en une émotion mesurée, presque à fleur de peau. Il en est de même avec la nymphe de la soprano française Raphaële Andrieu, remarquablement humaine. Le ténor italien Salvo Vitale sait parfaitement incarner vocalement un Charon profond et un Hadès flexible, avec sa voix grave sans être lourde.
Une autre qualité de cette production est d’avoir pris des chanteurs du chœur pour les rôles secondaires, ce qui nous ramène à nouveau en une conception antique, quasi nietzschéenne, de l’opéra. Ces rôles sont ici très plaisants et très bien menés dans le style nouveau, comme en témoignent le premier acte. D’ailleurs le chœur est tout aussi bien rodé dans le style ancien, tout au long de cette production. Le chef de chœur de l’Opéra Grand Avignon, Alan Woodbridge, a fait ici un très beau travail.
La clarté des voix, la tenue de l’orchestre, capable de grands éclats comme de retenues, et une mise en scène humble mais non moins dramatique, offraient ici un vrai bonheur aux lyricophiles. Le cycle de l’Opéra Grand Avignon autour des grands mythes, comme récemment Don Giovanni ou plus tard Turandot, trouve ici une de ses perles.
Andreas Rey
Avignon, 23 novembre 2025
L'Orfeo à l'Opéra Grand Avignon, les 21 et 23 novembre 2025
28 novembre 2025 | Imprimer
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