
Le 23 mai dernier, l’oratorio Deborah de Haendel a été offert au Théâtre des Champs-Elysées en version de concert. Oratorio rare sur les scènes françaises, ce concert était d’autant plus intéressant sur le papier que le chef d’orchestre néerlandais Ton Koopman y dirigeait l’Amsterdam Baroque Orchestra et son Choir. Oratorio à l’effectif réduit mais aux nombreuses innovations dans le genre, Deborah se démarque notamment par des enchainements de récitatifs ou d’arias.
Les effectifs de l’orchestre et du chœur n’étaient effectivement pas nombreux, ce qui les forçait à être d’autant plus vigilants sur la qualité de leur interprétation. Pari réussi donc ce soir, grâce à la fluidité de l’orchestre et l’harmonie entre les pupitres, notamment entre les cordes et les vents, annonçant Beethoven, Weber ou même Wagner. Le basson sonnait particulièrement bien, presque trop confortablement même peut-être. Les contrastes entre les atmosphères des scènes parfaitement enchainées, et la joliesse de l’ensemble donnaient à cet oratorio un caractère presque champêtre.
Sauf que...
Mais avant d’en arriver à cela, il faut aussi saluer les solistes, qui ne montraient aucun souci d’accents, d’articulation et de compréhension aussi bien dans les récitatifs que dans les arias.
Le Barak du contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński, à la tessiture veloutée, souple et agile, campait admirablement ce jeune homme immédiatement prêt à la guerre pour Jéhovah. Des oreilles sourcilleuses lui reprocheraient éventuellement une certaine retenue dans la projection, notamment lors des invectives aux émissaires de Baal, mais elles reconnaitront aussi la qualité de ses récitatifs proches des arias, annonçant la fonte des deux genres entamés par Mozart, continuée par Wagner et Richard Strauss et conclue par Alban Berg. Elles devront également reconnaitre celle de ses arias tantôt fortes et presque colériques face aux troupes de Baal, tantôt douces et fermes devant Deborah.
La Deborah de la soprano franco-belge Sophie Junker était saisissante dans les nuances de son incarnation. Modulant son personnage selon les scènes, elle tenait de la pythie en parlant de Jéhovah, du soldat en restant droite et ferme comme une épée devant les troupes de Baal, et de la femme de caractère en se montrant presque humaine et tendre face à Barak. Cette caractérisation lui permettait de se jouer des difficultés techniques du rôle, et notamment des aigus, auxquels elle donnait des couleurs et des valeurs différentes selon les arias. : tranchants et pointus face aux soldats de Baal, plus émoussés et allants face à Barak, ou enfin quasiment emportés en parlant de Jéhovah.
La Sierra de la mezzo-soprano néerlandaise Sophia Patsi ne manquait pas non plus de séduire en incarnant avec justesse cette femme trop fière pour se soumettre à Jehovah au début, mais qui finit par tuer le général des troupes impies. Elle lui donnait une souplesse, dans sa droiture, et des legati tout à fait intéressants, afin de la rendre humaine.
L’Abinoam du basse allemand Wolf Matthias Friedrich, sans perdre la gravité du personnage, lequel envoie tout de même son fils à la guerre, ne manquait nonobstant pas non plus de lui conférer une touche comique, avec son maintien légèrement vouté sur sa tablette, ses cheveux blancs tombant sur ses épaules, et surtout son bas médium naturel, frais, clair, frôlant parfois le rocailleux, jamais trop grave, mais jamais trop sans gravitas non plus. Il n’était pas sans rappeler le caricatural quai monolithique des personnages dans leur obsession religieuse. Une touche rafraichissante dans cette guerre de religion.
Cependant...
Cependant, malgré la qualité de ses interprètes, de l’orchestre et du chœur cette production manquait singulièrement d’entrain et d’énergie. Il semblait que tous sur scène ronronnaient dans leur parfaite maitrise routinière, et refusaient de se mettre au défi de faire mieux. Voilà un oratorio qui parle de morceaux de cadavres sur les plaines, de rages sanglantes et de destruction, et qui était chanté ce soir-là comme un pique-nique au frais à la campagne. La destruction et la rage étaient pourtant données par des ruptures ente des phrases longues et courtes, des tempi rapides et emporté par instants, et des accents forts.
Finalement, un concert plus joli que bon.
Andreas Rey
Paris, 23 mai 2025
Deborah de Haendel en version de concert au Théâtre des Champs Elysées, le 23 mai 2025
29 mai 2025 | Imprimer
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