Un Hamlet (d'Ambroise Thomas) de folie à Angers Nantes Opéra

Xl_hamlet_-_session-71 © Jean-Marie Jagu

La réussite sans faille de cette nouvelle production de Hamlet d’Ambroise Thomas à Angers Nantes Opéra (en partenariat avec l’Opéra de Rennes) vient récompenser un réel travail d’équipe, et la conjonction exemplaire de l’ensemble des potentialités réunies par Alain Surrrans, qui dirige la structure lyrique ligérienne depuis deux saisons maintenant. Elle marque également une nouvelle étape dans la réhabilitation d’une œuvre assez mal aimée, bien trop rare à la scène, après avoir été l’un des principaux piliers du répertoire en France au XIXe siècle. Restée célèbre pour sa fameuse scène de la folie et sa chanson à boire, la partition referme pourtant d’autres trésors, notamment le merveilleux trio du III, entre Hamlet, Ophélie et Gertrude. Ses mérites dramaturgiques sont tout aussi évidents, avec un habile contour de la psychologie des personnages, soulignée ici par la suppression judicieuse de plusieurs morceaux, concessions au style du grand-opéra susceptible de ralentir le déroulement de l’intrigue.

Signataire d’une Kat’a Kabanova remarquée à l’Opéra de Rennes la saison passée, le metteur en scène flamand Frank Van Laecke n’offre heureusement pas une relecture hasardeuse de l’œuvre. L’acceptant avec ses faiblesses et ses contradictions, et soulignant plus encore la continuité de son propos et la force évidente de maintes de ses scènes, il respecte le caractère et la dynamique de l’ouvrage, sans le tirer non plus outre mesure vers le drame de William Shakespeare : son travail scénique n’en est que plus pertinent, positif, en concordance avec le sens profond du texte et de la musique. Le caractère dramatique de l’œuvre s’en trouve renforcé, les personnages prenant de fait une dimension supplémentaire. Cette cohésion d’ensemble apporte un soutien véritable à l’opéra, et la direction d’acteurs est menée ici jusqu’à son terme, sans préjudice pour aucun des chanteurs. La sobriété des décors de Philipe Miesch - qui signe également les costumes (contemporains) - et les lumières tamisées conçues par le régisseur lui-même (aidé par Jasmin Sehic) participent activement à l’esprit de création qui concourt à l’aboutissement du spectacle. On retiendra notamment l’idée de diviser le plateau en deux, une zone limitée à l’avant-scène pour les moments intimes, et un espace plus spacieux en arrière-plan (délimité par un cadre) qui sert pour les épisodes éclatants (comme le sacre du nouveau couple royal). Autre idée prééminente ici, la même qui sert de fil d’Ariane dans le Don Carlos donné au même moment à l’Opéra de Flandre, le héros est omniprésent sur scène…


Philippe Rouillon (Claudius) et Charles Rice (Hamlet) ; © Jean-Marie Jagu

Marianne Lambert (Ophélie) © Jean-Marie Jagu

Le plateau vocal est, lui aussi, des plus brillants. Dans le rôle-titre, le baryton britannique Charles Rice (en alternance avec Kevin Greenlaw), juvénile et athlétique, crée un personnage rebelle, exaspéré, parfois violent qui sait également s’abandonner à la passion et la méditation, avec une belle cohérence dramatique. Ceux qui attendant surtout la chanson à boire, le célèbre monologue « Être ou ne pas être » ou l’air du V « Comme une pâle fleur » seront peut-être gênés par certaines limitations dans le registre aigu, mais ceux qui recherchent le théâtre avant tout ne pourront que succomber à la qualité de ce phrasé, de ce style, et de cet engagement, qui font notamment merveille dans le trio précité. Ophélie convient idéalement à la personnalité de Marianne Lambert, spectaculaire Fée dans la Cendrillon de Massenet in loco l’an passé. La soprano québécoise possède sans conteste les moyens vocaux exacts du rôle, aussi bien dans les étincelles de la grande scène de la folie, que toutes les nuances et subtilités qui s’y rattachent. Son approche allie fraîcheur, gravité et sincérité, éléments absolument indispensables si l’on souhaite donner corps à Ophélie, et ne pas la rabaisser à un simple automate chantant, piège dans lequel nombre de ses consœurs se sont allègrement précipitées. Le rôle de Gertrude, la mère d’Hamlet, conçu pour un grand mezzo français (du type Margared dans Le Roi d’Ys), est dévolue à la mezzo nantaise Julie Robard-Gendre, maintes fois applaudie sur cette même scène : elle campe de manière très crédible ce personnage de mère amoureuse de son fils, avec une voix d’une belle densité dans le médium, âpre dans le grave, mais également percutante dans le registre aigu, ce qui donne tout son impact à la scène de confrontation avec Hamlet. Son époux Claudius, incarné ici par le vétéran Philippe Rouillon, accuse quelque peu le poids des ans (la voix met du temps à chauffer...), mais il retrouve au cours de spectacle l’arrogance de timbre qu’on lui a toujours connue, quand bien même l’émission ne s’avère pas toujours exactement sous contrôle. Dans cette partition, le ténor est sacrifié, Laërte jouant au Valentin de Faust. En quittant le château, il confie Ophélie à Hamlet avant de partir en mission. Il ne revient qu’au dernier acte pour se battre en duel avec le séducteur responsable de la mort de sa sœur. On pouvait compter sur Julien Behr pour s’acquitter avec tous les honneurs de sa tâche, avec sa voix rayonnante et superbement projetée. Enfin, tous les autres personnages sont bien caractérisés, avec le regret néanmoins que les somptueux moyens de Jean-Vincent Blot (Le Spectre) ne parviennent aux auditeurs que de manière amplifiée, par micros interposés.

L’ultime réussite de la soirée repose sur la lecture orchestrale de Pierre Dumoussaud qui imprime à la narration un rythme serré, aux progressions savamment ménagées, mais qui sait également faire place au lyrisme dans les interventions d’Ophélie. Le jeune chef français a compris à quel point les détails de l’orchestration de Thomas étaient indispensables à la compréhension des atmosphères et des personnages, et son principal mérite est de les mettre ici en valeur. 

Une très belle soirée à la fin de laquelle le public n'a pas boudé son plaisir... loin s'en faut !

Emmanuel Andrieu

Hamlet d’Ambroise Thomas au Théâtre Graslin de Nantes, jusqu’au 4 octobre (puis à Rennes les 6, 8, 10 novembre, et à Angers les 24 & 26 novembre) 2019.

Crédit photographique © Jean-Marie Jagu

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