Enthousiasmant Tarare d'Antonio Salieri au Théâtre de Caen

Xl_tarare © DR

Après Les Danaïdes en 2013 et Les Horaces en 2016, Christophe Rousset termine son cycle des opéras français composés par Antonio Salieri pour l’Académie Royale de Musique, et c’est ainsi Tarare qui est proposé au Théâtre de Caen, en ce dimanche 9 décembre, après avoir triomphé – ces quinze derniers jours – à l’Opéra royal de Versailles, au Theater an der Wien ainsi qu’à la Philharmonie de Paris.

Au moment de la création de l’ouvrage, soit en 1787, Antonio Salieri est l’un des compositeurs les plus célèbres de l’époque, voire le plus célèbre, devant même Mozart (qui prendra plus tard sa revanche, de la manière que l’on sait…). Le fameux Teatro alla Scala de Milan a été inauguré avec l’une de ses œuvres (L’Europa riconosciuta) 10 ans auparavant, et il a conquis Paris, quatre ans plus tôt, avec Les Danaïdes précitées et créées la veille de la première représentation (à la Comédie-Française) du Mariage de Figaro de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais… à qui l’on doit justement le livret de Tarare. Enfant de l’opera seria italien, Salieri a également retenu la leçon de Gluck et des auteurs français ; avec Tarare, il réussit une « tragédie française » riche en valeurs expressives. La musique - presque uniquement des récitatifs continus, entrecoupés d’arias - possède suffisamment de séductions pour rendre agréable les trois heures de spectacle. Beaumarchais, comme les philosophes du Siècle des Lumières, tend un miroir à ses contemporains et transporte l’action en Orient, dans le royaume du tyran Atar, roi d’Ormoz. Atar désire Astasie, l’épouse de Tarare, l’un de ses plus brillants soldats. Sans façon, il incorpore la récalcitrante dans son sérail, et va jusqu’à envoyer Tarare à la recherche de sa femme. Même avec le livret en main, il deviendrait difficile, à partir d’ici, de raconter l’intrigue, construite sur les effets les plus sûrs. La fin est conforme à la tradition : Tarare monte sur le trône après qu’Atar se soit suicidé. Déjà dans le Prologue, la morale de l'histoire était dégagée : « Homme ! Ta grandeur sur la terre n’appartient point à ton état, elle est toute à ton caractère ».

Pour faire honneur à la partition, on a réuni ici la fine fleur du chant français. Jean-Sébastien Bou trouve dans le cynique tyran Atar un rôle à sa mesure. Il en maîtrise parfaitement les morceaux de bravoure, et l’occasion lui est offerte de laisse libre cours à sa veine dramatique, mâtinée de quelques pointes de fantaisie. Egale à elle-même, c’est-à-dire magnifique, Karine Deshayes rayonne et émeut dans les courtes parties qui sont attribuées à Astasie, et l’on regrette dès lors que Salieri n’ait pas plus « investi » ce personnage. Avec sa technique aguerrie, Cyrille Dubois se tire avec brio des difficultés du personnage de Tarare. En plus d’un format héroïque (en termes d’aigus et de projection), le charme vocal du chanteur normand est évident, et il sait par ailleurs se montrer particulièrement émouvant dans les moments de détresse ou dans ses élans amoureux. Dans le rôle de l’eunuque Calpigi, l’enthousiasmant jeune ténor français Enguerrand de Hys saisit l’opportunité de mettre en valeur à la fois son ténor léger (mais superbement projeté) et son impayable jeu de scène. Le grand-prêtre Arthénée exige une voix à la Sarastro : le baryton grec Tassis Christoyannis n’en a peut-être pas la couleur, mais il en possède assurément la puissance et le souffle. De son côté, la soprano néerlandaise Judith van Wanroij incarne une piquante Spinette, tout en malice, tandis que les deux barytons français Jérôme Boutillier (Urson) et Philippe-Nicolas Martin (Altamort) méritent les plus vifs éloges tant pour leur rayonnement vocal que pour leur engagement théâtral.

Enfin, à la tête des musiciens engagés et dynamiques de sa formation Les Talens Lyriques, Christophe Rousset donne toutes ses chances à un compositeur dont l’art de l’instrumentation atteint ici son apogée, et parvient à faire ressortir toute la violence contenue d’une partition dont il se plaît parallèlement à souligner la subtile orchestration. Une mention chaleureuse également pour le chœur des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, qui s’acquitte avec efficacité de ses interventions, excellement préparé qu’il est par Olivier Schneebeli.

Bref, nos directeurs de théâtres lyriques hexagonaux seraient bien inspirés de réhabiliter la trilogie française de Salieri !...

Emmanuel Andrieu

Tarare d’Antonio Salieri au Théâtre de Caen, le 9 décembre 2018 

Crédit photographique © Eric Larrayadieu

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