Une Butterfly immobile et raffinée à Turin

Xl_madame-butterfly-teatro-regio-torino-2019f © DR

On reconnaît la qualité d’une maison d’opéra, moins au faste de ses premières, qu’à ses spectacles de répertoire. Dans le cas de cette Madame Butterfly mise en scène par Pier Luigi Pizzi, la question était d’autant plus intéressante que le Teatro Regio de Turin a connu d’importantes turbulences début 2018. Petit rappel des faits : le conseil de la mairie de Turin nommait William Graziosi, après la démission inattendue de Walter Vergagno, provoquant le retrait du grand chef italien Gianandrea Noseda. L’annonce de la saison 2018/2019 n’avait pas calmé les inquiétudes liées au retrait de la paire musicale, qui damait régulièrement le pion à son grand voisin de La Scala milanaise.


Madame Butterfly ©Teatro Regio Torino, Edoardo Piva


Madame Butterfly ©Teatro Regio Torino, Edoardo Piva

La première bonne nouvelle de ce spectacle réside dans la fosse. L’Orchestre du Teatro Regio est littéralement somptueux. Les cordes sont chaleureuses, et laissent passer d’étonnantes interventions solistes des vents. Tenant l’orchestre d’une main de fer, l’Israélien Daniel Oren multiplie les maniérismes, favorisant tantôt des contrechants instrumentaux, tantôt des ralentissements dynamiques. Le tout crée une lecture d’un raffinement ensorcelant, rapprochant Puccini de l’orchestre debussyste aux multiples moments suspendus.

La mise en scène de Pizzi est tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Nous sommes bien au Japon, avec le décor unique d’un pavillon aux fenêtres coulissantes et un cerisier en fleur côté jardin. Pour un spectacle de répertoire, la direction d’acteurs reste honorable : les personnages sont esquissés avec suffisamment de finesse pour que le spectateur puisse s’engager dans la destinée tragique de Cio-Cio-san. A l’instar de la direction au dramatisme anémié de Daniel Oren, on contemple une estampe élégante au sentimentalisme châtié et décoratif.

Mais à l’opéra, et cela est particulièrement valable en Italie, un spectacle se joue sur les voix. Le bilan s’avère des plus contrastés : à une Suzuki probe et équilibrée (Sofia Koberidze) répondent des Goro (Luca Casalin) et Sharpeless (Simone Del Savio) d’une grande banalité. Le Chœur du Teatro Regio impressionne lors de l’interlude à bouche fermée mais le couple vedette paraît moins à l’aise face aux exigences du chef d’orchestre. Le premier acte est propice à Rebeka Lokar en Butterfly : la soprano slovène déploie des mezzo voce délicats, à l’instar d’une Mélisande ou d’une soirée de Lieder viennois. Mais le deuxième acte s’avère fatal à son incarnation : Rebeka Lokar rate son « Un bel dì vedremo », faute de présence dramatique, et réussit tout juste à surnager dans la scène finale. Le Pinkerton de Murat Karahan s’avère plus personnel : le ténor turc compense son manque de puissance vocale par une émission claire et facile. Sa caractérisation est également assez subtile pour ne pas faire du marin américain le personnage de brute épaisse qu’on lui attribue parfois.

Le bilan de cette soirée de répertoire reste donc largement positif. Est-ce encore un héritage du règne de Noseda ? L’orchestre apparaît comme une formation de tout premier plan. Mais un clin d’œil à la saison 18/19 (12 titres, quasi tous italiens, sans vedettes lyriques) ne dissipe pas les inquiétudes quant à l’avenir. Pour garder son rang, le Teatro Regio devra trouver un directeur musical d’envergure internationale.  

Laurent Vilarem
(Turin, 16 janvier 2019)

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