Red Waters, messe rouge à l’Opéra de Rennes

Xl_red-waters_opera-de-rennes_2022e © Philippe Chancel, 2022 – TNB, Opéra de Rennes, ONB

Après les Trois Contes de Gérard Pesson (et en attendant L’Odyssée de Jules Matton), l’Opéra de Rennes mettait à l’affiche l’opéra “gothique et pop” Red Waters. Il faut saluer la programmation exigeante et transversale de Matthieu Rietzler à la tête du théâtre breton, qui mêle répertoires et projets originaux dans une saison saluée par le public.

Red Waters est un drôle d’objet musical. Le spectacle n’est pas tout à fait une création puisqu’une première version avait été créée à l’Opéra de Rouen de 2011. La “vedette” de l’ouvrage est bien sûr la chanteuse pop Keren Ann, associée ici au musicien islandais Barði Jóhannsson. De l’auteure d’albums tendres comme La disparition ou Not going anywhere, on attendait un opéra rêveur et mélancolique. Red Waters réserve une surprise de choix : l’ouvrage est une véritable messe satanique, proche du punk et du cauchemar !

Red Waters, Opéra de Rennes (2022)
Red Waters © Frederic Nauczyciel

S’agit-il d’un opéra ? Pas vraiment. D’un oratorio ? Non plus. Est-on plutôt en face d’une comédie musicale ? L’amplification des voix et la structure en numéros augurent d’une réponse plus juste, même si l’absence de narration réelle et la radicalité de la scénographie laissent davantage penser à une installation d’art contemporain. Durant une heure trente, le spectateur est convié à vivre dans un village aux rites étranges.

Le spectacle n’est pas sans défaut, loin de là. L’histoire (basée sur une idée originelle de Sjon, le parolier de Björk) est extrêmement répétitive, assénée par une voix off monocorde. Il ne se passe quasi rien, si ce n’est une série de cérémonies identiques, conclues par le meurtre d’un couple incestueux. Musicalement, le duo Lady & Bird (Keren Ann & Jóhannsson) trouve de jolies trouvailles dans la partie chorale (excellent Chœur de chambre Mélisme(s)) mais achoppe sur la partie orchestrale. Malgré l’engagement du chef Nicolas Agullo qui dynamise un Orchestre National de Bretagne engagé, la musique instrumentale utilise des idées d’orchestration régulièrement entendues au cinéma. Avec ses chœurs séraphiques, on songe à la musique de Danny Elfman, l’oreille nourrie par une pâte sonore uniforme est rarement surprise par un détail original. Il faut néanmoins reconnaître au duo Lady & Bird l’audace de sortir des schémas mélodiques de la pop et de tenter une aventure originale.

Red Waters, Opéra de Rennes (2022)
Red Waters © Frederic Nauczyciel

C’est l’expérience visuelle qui séduit ici le plus dans Red Waters. Le rideau s’ouvre sur un décor entièrement tapissé de rouge. L’histoire inspirée de légendes scandinaves se déroule ici dans un feu de corrida. Le directeur du Théâtre National de Bretagne, Arthur Nauzyciel, met magnifiquement en scène la troupe de chanteurs (Jérôme Billy, Nicolas Isherwood, Olivier Lagarde, Mathilde Pajot, Pauline Sikirdji). On songe à la cérémonie masquée d’Eyes Wide Shut de Kubrick, à d’antiques rites tribaux, mais Red Waters trouve la réponse la plus juste à son projet en laissant une large place à la chorégraphie de Damien Jalet. Trois danseuses (remarquables Sandy Den Hartog, Maëva Berthelot, Gabriela Ceceña) occupent la scène, contaminant leurs gestes à l’ensemble des chanteurs. Avec cohérence et le concours de tous les participants, Red Waters brosse progressivement de saisissants tableaux morbides. L’histoire qui commençait comme un joli conte tiré d’un film de Tim Burton devient malaisante, envoûtante, et franchement inoubliable.

Laurent Vilarem
Opéra de Rennes, 28 janvier 2022

Red Waters, Opéra de Rennes (du 28 janvier au 4 février 2022)

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