Qui a peur de Pelléas et Mélisande au Komische Oper ?

Xl_pelleas_kob_172 © (c) Monika Rittershaus

Cette production de Pelléas et Mélisande au Komische Oper de Berlin revêtait une importance à plusieurs titres. L’opéra de Debussy reste en effet le trésor le plus fragile de la musique française et demeure une curiosité pour le public allemand qui, plus d’un siècle après la création, peut se montrer toujours aussi déconcerté par l’originalité de l’œuvre. C’est également la première production du nouveau directeur musical, le jeune chef Canadien, Jordan de Souza, et c’est enfin le nouveau pari de Barrie Kosky, le directeur du Komische Oper, dont les mises en scène voyagent dans le monde avec un succès grandissant. Disons-le tout net, le spectacle est un retentissant échec.


(c) Monika Rittershaus


(c) Monika Rittershaus

Le premier tort en revient au metteur en scène. A choisir une scénographie expressionniste, avec un décor tiré d’une scène de Métropolis de Fritz Lang, l’homme de théâtre australien est tout à fait dans son droit artistique. Ici, point de Pelléas éthéré et languissant : les personnages se touchent, éclatent de rire, font des cabrioles de gymnastique lors de la scène de la fontaine ou engagent un corps-à-corps quand le livret de Maeterlinck les tient rigoureusement à distance. Cette impression de nervosité est renforcée par le choix de donner la version de la création d’avril 1902, sans les interludes symphoniques, au diapason de la direction de Jordan de Souza qui défile à toute allure. Tout cela serait même stimulant si les enjeux de l’ouvrage n’étaient pas aussi grossièrement surlignés, et si Kosky était vraiment allé au bout de sa logique « trash », telle cette étonnante idée de faire avaler la bague de fiançailles à Mélisande à l’acte 2. Or, la scène de la grotte qui suit, revient à une solution plus traditionnelle, avec une Mélisande mystérieusement transformée en petit chaperon bleu, seul îlot de poésie dans une soirée bien trop physique.

Devant une telle hystérie, on finit par croire que le directeur du Komische Oper a eu peur de Pelléas. Ceux qui s’ennuient à l’univers ondoyant et macabre de l’ouvrage pourraient y trouver leur compte et y percevoir un renouvellement critique, mais au vu des applaudissements chétifs, et du décousu de l’ensemble (il s’agissait en outre de la première fois qu’on représentait l’œuvre au Komische Oper de Berlin !) on gage que l’occasion sera manquée. Quant à ceux qui aiment la magie irradiante de Pelléas (et ils sont tout aussi nombreux en Allemagne), ils ne retrouveront rien de l’univers enchanté qui leur est cher. Car Debussy impose régulièrement son ombre à un spectacle qui passe pourtant son temps à le nier. Telle répétition d’un mot, telle courbe mélodique, et c’est le rythme propre du plus envoûtant chef d’oeuvre du symbolisme musical qui affleure.

On peut traiter Pelléas comme un opéra expressionniste, romantique ou vériste ; on doit même y apporter le « théâtre de la cruauté » chers à Pierre Boulez et André Schaeffner, mais à une condition : y insuffler de la sensualité. Et de ce point de vue, le Pelléas du Komische Oper s’avère une nouvelle fois en échec cinglant. Malgré un bel orchestre et des idées intéressantes dans le détail, Jordan de Souza surcharge les intentions debussystes. Les timbres ne se fondent pas et l’accompagnement demeure souvent trop crû. Le Pelléas de Jonathan McGovern est transparent, tandis que la Mélisande de Nadja Mchantaf est rien moins qu’inacceptable. La soprano allemande possède de beaux graves mais offre une Mélisande athlétique, surjouée, presque vulgaire, jusqu’à atteindre des sommets de contresens (pour rester courtois) dans l’acte final. Le reste de la distribution va du très passable (pâteux Arkel de Jens Larsen), au correct (Geneviève de Nadine Weissmann) à l’honorable (Günter Papendell, Golaud manquant de naturel mais au français châtié). Une soirée à oublier.

Laurent Vilarem

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