Opéra de Paris : Sonya Yoncheva dans la Traviata

Xl_yoncheva_trav_paris-1 © DR

Il existait trois sortes de spectateurs pour cette reprise de La Traviata selon Benoit Jacquot. Les premiers découvraient l'œuvre dans la mise en scène du cinéaste français, les deuxièmes amateurs d'art lyrique attendaient ou revoyaient le spectacle après sa création à l'Opéra Bastille en 2014, et nombreux encore étaient ceux qui venaient pour admirer Sonya Yoncheva  en Violetta Valéry, qu'elle donnait pour la première fois à Paris après y avoir triomphé à Zurich et New York. Une prise de rôle d'autant plus importante que la soprano bulgare avait annulé les premières représentations suite à un deuil familial.

Il y a deux ans, on attendait beaucoup de Benoit Jacquot après la réussite de son Werther. Avec ses grands rideaux noirs tendus en fond de scène, c'est pourtant moins le souvenir de l'opéra de Massenet que de son film Tosca d'après Puccini, réalisé pour le cinéma en 2001 avec Angela Gheorghiu et Roberto Alagna dans les rôles titres. "Avalés" par les ténèbres, les décors se réduisent ici à des éléments signifiants, tels un grand lit au-dessus duquel trône le tableau Olympia de Manet et un boudoir d'époque. L'ensemble capte l'œil mais se heurte à des déplacements de scène réduits à leur plus simple expression, sans investissement dramatique. On retrouve cette économie de moyens au deuxième acte, avec une scène partagée entre un arbre éclairé et des escaliers peuplés de figurants immobiles. Toutefois, on ne peut s'empêcher de penser que Jacquot privilégie l'arrêt sur image, là où La Traviata ne devrait être que mouvement. Le troisième acte accentue le dénuement de l'action et le bilan est celui d'un spectacle très beau visuellement (magnifiques décors, costumes et lumières), d'une exquise distinction mais froid et dans lequel l'émotion tarde à surgir.

Pour qui a vu le spectacle en 2014, la distribution vocale reste inégale mais témoigne d'un excellent niveau. Passons rapidement sur la belle Annina de Cornelia Oncioiu, et regrettons tout de suite l'Alfredo de Bryan Hymel, fragile et mal à l'aise dès les premiers airs. Le deuxième acte aggrave le cas du ténor américain, avec une voix toujours aussi nasale qui laisse passer de bizarres effets pathétiques. On retiendra davantage l'admirable Germont de Simone Piazzola à la belle voix ronde et qui fait de chaque moment d'impressionnants instantanés d'humanité compréhensive. L'air « Di Provenza il mar » est un pur moment de poésie. Mais c'est peut-être dans la direction de Michele Mariotti que l'on trouve le point le plus fort de cette reprise. Le chef italien séduit dès le prélude par une attention aux détails et un Orchestre de l'Opéra décidément somptueux. Le premier acte maintient une fougue rythmique tout en laissant respirer les chanteurs, même si on perçoit un certain volontarisme qui disparaîtra au cours d'un deuxième acte littéralement envoûtant. Mariotti parvient à varier les climats à l'intérieur d'une même scène tout en impulsant un vibrant élan dramatique qui culmine dans l'agonie finale, véritable écrin pour les voix des chanteurs.

Et puis il y a Sonya Yoncheva, attendue comme une reine, après que les réseaux sociaux ont bruissé de la perte d'un être cher depuis quelques jours. Dès sa première apparition, de dos, la soprano bulgare réveille le souvenir des grandes Violetta de l'histoire, notamment Maria Callas, dont elle possède l'incarnation physique et la même autorité vocale. Là où Alfredo peine à se faire entendre, la soprano remplit aisément le vaisseau de l'Opéra Bastille. De Violetta, Sonya Yoncheva possède encore la sidérante facilité vocale et se déjoue des vocalises sans renier l'urgence théâtrale. Le deuxième acte contredit les attentes : l'incarnation vocale n'est pas en cause, Sonya Yoncheva possède les subtilités d'une Mimi, sait se faire légère et malléable, et déploie d'ensorcelants pianissimis. Mais on sent que la soprano aime être poussée dans ses retranchements, comme le  permettra un dernier acte étreignant, notamment un magnifique « Gran Dio! mori si giovane ».

En dépit de la standing ovation que lui réserve un Opéra Bastille comblé, on objectera qu'il manque un petit quelque-chose pour faire de sa Violetta l'une des grandes incarnations du répertoire. Est-ce l'immensité de l'Opéra Bastille ? Ou de la mise en scène trop sage de Benoît Jacquot ? Sonya Yoncheva a toutes les qualités pour réussir la quadrature du cercle mais l'événement tant attendu n'a pas eu lieu. Demeure une musicalité incomparable à notre époque, et un timbre altier, somptueux de jeunesse.  Mais il reste encore deux représentations (le 4 et le 7 juin) ; la soprano est au zénith de sa voix, tout est encore possible.

Laurent Vilarem

La Traviata (1er juin 2016), jusqu'au 29 juin 2016 à l'Opéra de Paris Bastille

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