Like Flesh à l'Opéra de Lille : requiem for a tree

Xl_like-flesh-19-01-22-simon-gosselin-51 © Simon Gosselin

Like Flesh était l’une des créations les plus attendues de l’année. Après sa première à l'Opéra de Lille, l’opéra de Sivan Eldar connaît en effet deux autres séries de représentations, à Montpellier (10-13 février) et Nancy (30 septembre - 4 octobre). L’an dernier, le spectacle était déjà salué par le prestigieux Prix Fedora pour l’originalité de son projet.

Like Flesh à l'Opéra de Lille
La Forêt, Helena Rasker, Juliette Allen, Like Flesh © Simon Gosselin

Like Flesh raconte l’histoire d’une forestière, mal aimée par son mari, qui tombe amoureuse d’une étudiante. A la moitié de l’opéra, l’héroïne se transforme en… arbre. Cette lointaine variation sur le mythe de Daphné se double ici d’une volonté des autrices de mettre en scène une forêt dans sa complexité organique. Grâce à des haut-parleurs disséminés dans toute la salle (dont certains placés sous les sièges des spectateurs !), l’opéra nous immerge dans une totalité sonore, où chaque élément s’entrelace naturellement à l’ensemble.

On retrouve une cohésion exceptionnelle parmi tous les participants du spectacle. Like Flesh est certes le premier opéra de Sivan Eldar mais c’est le quatrième projet que la compositrice israélienne réalise avec la dramaturge anglaise Cordelia Lynn. Les bienfaits de ce compagnonnage artistique éclatent dès les premières mesures : rarement dans une création, on a ressenti une telle osmose entre texte et musique. Chaque détail est ciselé, le livret de Lynn se révélant souvent d’une densité impressionnante. Même éblouissement du point de vue visuel : la scénographie de Silvia Costa (aidée des remarquables vidéos de Francesco D’Abbraccio) nous propulse dans une forêt en perpétuelle métamorphose. À la projection sonore, Florent Derex réalise également des merveilles pour immerger le spectateur.

Au milieu de l’opéra, comme nous le disions plus haut, intervient le moment de la métamorphose. Toute la première partie du spectacle baignait dans un lumineux onirisme: la musique d’Eldar déployant un étonnant mélange entre un ensemble aux harmonies spectrales (Le Balcon dirigé par Maxime Pascal) à des parties chorales évoquant irrésistiblement Britten ou John Adams. Mais dans cette seconde partie, la musique électronique jusque-là discrète prend le dessus. Le personnage de la Forestière quitte le monde des hommes, et nous spectateurs de la suivre dans son sillon.


Juliette Allen, Helena Rasker, Like Flesh © Simon Gosselin


Adèle Carlier, Hélène Fauchère, Guilhem Terrall, Sean Clayton, René Ramos Premier, Florent Baffl (La Forêt), Like Flesh © Simon Gosselin

C’est ici que Like Flesh ne dépasse hélas pas tout à fait son excitant postulat. En majesté, la partie informatique coréalisée par la compositrice et Augustin Muller à l’Ircam, fait certes entendre un univers sonore inouï. Mais les personnages qui étaient des archétypes – une femme malheureuse (émouvante Helena Rasker), un mari cupide (William Dazeley) et une étudiante idéaliste (Juliette Allen) – manquent précisément de chair et d’incarnation pour susciter une émotion théâtrale.

Le projet qui oscillait jusque-là entre opéra et oratorio penche alors très nettement vers le second. La scène se fige, il ne se passe plus grand-chose, seuls saisissent les remarquables passages choraux symbolisant la voix de la Forêt. On songe in fine à Like Flesh comme à une passion baroque : au dieu de Bach fait écho une nature indifférente et impitoyable. Plus que le ciel, c’est la terre que l’ouvrage convoque. Il y a même quelque chose de religieux, dans ce livret qui surplombe d’un peu haut le monde des hommes, jusqu’au sermon (l’opposition hommes/femmes ici grossièrement schématisée ou le danger climatique) en nous faisant miroiter un univers inaccessible à notre entendement.

Like Flesh s’écoute ainsi comme un requiem pour une humanité menacée. Dans cet adieu aux hommes, il manque peut-être un peu de folie théâtrale (un personnage affirme à un moment du livret de « lâcher-prise »), un peu plus d’amour entre les personnages, pour qu’on s’investisse émotionnellement et qu’on quitte ce qui s’apparente davantage à un commentaire trop abstrait.

La grandeur de Like Flesh reste malgré tout de soulever de passionnantes questions musicales et philosophiques. Souvent, Sivan Eldar nous fait basculer dans un monde inconnu : on sent une forêt sonore vibrer tout autour de nous, on ressent toute la plénitude d’un monde inhumain. Musique, texte, scénographie, vidéo se répondent avec une remarquable intelligence. L’expérience, fascinante et originale, mérite d’être tentée.

Laurent Vilarem
Opéra de Lille, 21 janvier 2022

Like Flesh à l'Opéra de Lille, du 21 au 28 janvier 2022.

Crédits photos © Simon Gosselin

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