Einstein on the beach à La Villette : retour aux origines

Xl_einstein-on-the-beach_susanne-kennedy_grande-halle-de-la-villette-2023 © Grande Halle de la Villette

L’actualité des concerts réserve d’étonnants parallèles. En quelques jours, Paris a accueilli une représentation de Sonntag aus Licht de Stockhausen à la Philharmonie, suivie la même semaine par une nouvelle production d’Einstein on the beach de Philip Glass dans la Grande Halle de la Villette. Attention, rien de commun dans le langage des compositeurs : Stockhausen refuse toute répétition tandis que l’Américain l’érige en principe d’écriture. Aucune parenté vraiment entre l’héritage sériel du musicien allemand et le minimalisme radical de la première période de Glass. Pourtant, Sonntag aus Licht et Einstein on the beach possèdent de nombreux communs : durée démesurée, blocs de scènes anti-dramatiques, refus du récit traditionnel, appel à de grands universaux humains pour créer une transe aspirant au sacré. Le tout, dans un esprit très seventies.

Néanmoins, il existe une différence majeure entre Sonntag et Einstein : là où Stockhausen multiplie les indications (voire les ordres) jusqu’à contrôler le mouvement de ses interprètes et du public, Einstein s’apparente à un rituel beaucoup plus œcuménique, dans lequel le spectateur est invité à se balader librement, sans figure d’autorité ni fantasme de compositeur démiurge omniscient. Venue du Théâtre de Bâle, cette nouvelle production reproduit ainsi une idée géniale présente dès la création de l’opéra au Festival d’Avignon en 1976 : la liberté de déplacement. On peut monter sur scène avec les chanteurs, partir aux toilettes, revenir, discuter, s’allonger dans les couloirs ou grimper les marches pour avoir une meilleure vue d’ensemble. Il existait trois possibilités de placement : la plus traditionnelle consistait à s’asseoir en milieu de scène sur les (minis) sièges de la Grande Halle de la Villette. L’expérience est déroutante, car une foule très compacte s’assemble sur la scène autour des chanteurs. Des spectateurs et des chanteurs (interagissant avec la foule), qui est vraiment le plus acteur ? On pouvait monter également en haut des gradins dépeuplés, pour apprécier la beauté du mouvement général, même si l’amplification de la musique nous est parue trop peu sonore dans l’ensemble, pour s’immerger vraiment dans la musique de Glass. Et puis, il y avait la possibilité d’être sur scène, en dehors ou sur le plateau tournant, aux côtés même des chanteurs. À la manière d’une messe, on participe à un rituel étrange, fidèles turbulents d’un culte opéré par des prêtres musiciens, dont les mouvements, et c’est la plus grande réussite de la mise en scène de Susanne Kennedy, sont admirablement réglés durant les 3h40 de spectacle.

Quand on entre dans la halle de la Villette, disons-le tout net, le décor du scénographe Markus Selg frappe par sa laideur. Empilement volontairement kitsch, la scène tient du temple hindou en toc, de la fausse crèche moyen-orientale, ou de la scène de film d’apocalypse fauché. C’est bien le cinéma et la télévision que Susanne Kennedy et Markus Selg convoquent : cercle du temps du film Stargate, crâne sacré de la série True détective, violoniste (impériale Diamanda Dramm) aux faux airs de Charlize Theron dans Mad Max Fury Road. Des dizaines de références abondent pour créer un mix post-moderne, qui cherche autant qu’il la refuse l’extase religieuse. Paradoxalement, si on reste interloqué durant la première heure, cet univers devient de plus en plus cohérent et habitable. Toutes ces références finissent par créer un imaginaire rétro-futuriste commun, d’où suintent les inquiétudes écologiques et religieuses de notre époque.

Certes, cet Einstein on the beach n’atteint pas la beauté plastique absolue de la production originelle de Bob Wilson. Le spectacle finit même par s’essouffler en refusant le contraste et la métaphysique, mais quelle expérience ! Les musiciens de l’Ensemble Phoenix Basel dirigés par l’excellent André de Ridder et les danseurs se couvrent d’éloges. Les voix des Basler Madrigalisten s’avèrent plus fragiles, mais n’empêchent en rien la sensation de vivre un événement collectif, qui, en ces temps de repli généralisé, nous fait le plus grand bien à tous.

Laurent Vilarem
Grande Halle de la Villette, 24 novembre 2023

Einstein on the beach dans la Grande Halle de la Villette, du 23 au 26 novembre 2023

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