A Dijon, l’expérience hors du commun de Koma

Xl_koma-opera-dijon-haas-2019b © DR

Donné en création française à l’Opéra de Dijon, Koma de Georg Friedrich Haas est une expérience hors du commun. Certains passages de la partition sont en effet exécutés dans l’obscurité la plus totale. Ce choix ne relève en rien de l’accessoire puisque le spectacle relate l’histoire d’une femme sur un lit d’hôpital plongée dans un coma irréversible. L’expérience qui en résulte est à la fois universelle et inoubliable.

Bien sûr, Koma n’a rien d’une opérette ou d’un opéra-bouffe. Afin de préserver la saveur de ces épisodes nocturnes (on entend réellement des sons et des voix dans un noir absolu durant plus de la moitié de l’opéra), le surtitrage des dialogues allemands a été abandonné. De même, le livret de Händl Klaus est réduit à des archétypes : l’héroïne Michaela est entourée de ses proches, sa sœur, son beau-frère et amant, du personnel hospitalier qui lui apparaissent tantôt en lumière naturelle, tantôt en ombres chinoises. On ne comprend pas tout, on reste à la lisière mais à la manière du soldat de Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo, le spectateur entre dans un état-limite de conscience, d’une puissance de sidération rare. Bien sûr, la démonstration est morbide, puisque la représentation nous invite à vivre une expérience presque pré-funéraire, qui concerne notre propre mort, ou celle d’un proche qui agonise devant nous. Mais quelle force de suggestion ! Quel ébranlement sensoriel grâce à la mise en scène d’Immo Karaman et la puissance des projections vidéo lors des séquences lumières allumées !


Koma, Opéra de Dijon Métropole

Musicalement, Georg Friedrich Haas trouve en Koma un sujet en parfaite adéquation avec son univers esthétique. On pourrait dire que le compositeur autrichien signe dans cet opéra l’aboutissement logique de la musique spectrale. L’un de ses fondateurs, le Français Gérard Grisey, parlait d’une musique liminale, de seuils sonores à franchir entre désintégration et renaissance du son. Ici, on ne sait pas trop où on se situe, entre note fixée et micro-tonalité, entre gammes tempérées et détempérées, entre éveil et sommeil, tandis que les sonorités orchestrales enveloppent d’un écrin à la dérive une écriture vocale madrigalesque.

Il existe une seule idée dans Koma, qui se déploie de façon statique durant tout le spectacle, mais elle est essentielle : celle du voyage à l’intérieur du son. Ce déplacement immobile ne serait pas aussi prégnant sans l’engagement exceptionnel des musiciens. Dirigés par Bas Wiegers, les instrumentistes du Kärtner Sinfonie Orchester jouent dans l’obscurité de longs passages d’une extrême complexité. De même, la troupe vocale (dont les rôles principaux sont tenus par Ruth Weber, Stefan Zenkl, Bryony Dwyer, Daniel Gloger) revient à l’essence du jeu : chanter à la manière d’une partition de chambre et jouer comme des acteurs de cinéma muet lors des séquences allumées. Il y a quelque chose d’un expressionnisme viennois du 21ème siècle dans cette musique qui se tient sur le point constant de sa disparition, à la manière de l’Adagio de la Symphonie n°9 de Mahler.

Saluons l’Opéra de Dijon d’avoir proposé une expérience aussi originale que fascinante !

Laurent Vilarem
Dijon, 14 juin 2019

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