Reprise de Cavalleria rusticana / Pagliacci à Montpellier : les clowns, c’est nous

Xl_cavaleria-rusticana-opera-de-montpellier-2025-02 © Opéra de Montpellier

Après l’Opéra de Toulon hors les murs au Festival de Châteauvallon, c’était au tour de l’Opéra de Montpellier d’accueillir le diptyque Cavalleria rusticana / Pagliacci signé par Silvia Paoli dans un décor urbain contemporain où le mâle Alpha domine sans hauteur, le tout unissant les deux œuvres.

Ainsi que le soulignait déjà notre collègue en 2024, la mise en scène de Silvia Paoli s’avère réussie et percutante, transposant les actions dans un amphithéâtre de béton délabré, fermé par du grillage, où drogue, violence et pauvreté cohabitent tristement. Une croix de néons implante la religion sans en faire trop : celle-ci est déjà marquée dans le livret, et il suffit à la metteuse en scène de la surligner pour lui laisser toute sa place : mascotte de lapin, gilets poussins, œufs en chocolat... On ne passe pas à côté de Pâques ! La vieille femme SDF (Giusi Merli) présente au centre de la pièce arbore des airs de la Vierge (comme une couverture bleue sur elle, une position rappelant la Mère et son enfant, etc.) avant d’être découverte morte sur un banc au début de Pagliacci, Assomption oblige.

On apprécie particulièrement les liens entre les deux œuvres portés par les apparitions de personnages de l’une dans l’autre. Ainsi, nous assistons à la rencontre de Nedda et Tonio durant Cavalleria rusticana, lorsque le second aide la première à porter sa valise. A contrario, Lucia passera sur scène en poussant une poussette en début de Pagliacci, rappelant l’enfant dont était enceinte Santuzza. Entre les deux œuvres, un an ou deux, expliquant l’immuabilité du décor et les détails ayant évolué (un grillage ajouté devant scène, la « maison » de Lucia disparue, l’apparition de l’aire de jeux pour enfants).

Les liens se tissent donc naturellement, sans être grossis, avec ce qu’il faut de finesse pour aller de soi, mais aussi ce qu’il faut de visibilité pour ne pas passer inaperçus. Quant au final de la soirée, après le meurtre tragique de Nedda devant une foule outrée mais statique, il laisse apparaître un miroir effrayant : ce public qui ne réagit pas, c’est nous. Et si nous laissons faire, ne sommes-nous pas tout aussi coupables que le clown assassin ? Le fait que l’ensemble de la foule sur scène nous tourne le dos pour ensuite se retourner en arborant un nez rouge semble répondre à la question : les Pagliacci, c’est nous.

Sur scène, le chœur est par ailleurs conséquent puisqu’il réunit Chœur de l'Opéra national Montpellier Occitanie (préparé par Noëlle Gény), du Chœur de l'Opéra de Dijon (préparé par Anass Ismat), ainsi que du Chœur Opéra Junior dans Pagliacci (préparé par Albert Alcaraz). Très impliqué, le chœur est essentiel ici. Uni, il offre une prestation homogène, aux reflets multiples, miroitants, faisant honneur aux pages de Mascagni et Leoncavallo. N’oublions pas également la troupe de danseurs chorégraphiée par Emanuele Rosa, offrant de véritables personnages complémentaires à ceux des livrets.

Cavalleria Rusticana / I Pagliacci - Opéra-Orchestre National de Montpellier (2025)
Cavalleria Rusticana / I Pagliacci - Opéra-Orchestre National de Montpellier (2025)

Côté solistes, pour sa première Santuzza, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur s’avère magistrale. Junky enceinte, elle privilégie l’humanité, la fragilité, le déchirement du personnage rendu dans un chant maîtrisé où la technique est un tremplin pour l’interprétation. Touchante, elle livre avec émotion un personnage émouvant, servi par un chant coloré, nuancé, vibrant.

Julie Pasturaud est pour sa part une Lucia solide, investie dans son rôle de « mamma », à la voix ample et profonde, tandis que Reut Ventorero incarne une Lola un peu pimbêche, coquette, légère à l’image de sa voix virevoltante. Face à elle, l’Alfio de Tomasz Kumięga est ancré profondément dans les ténèbres de sa voix. La rondeur du timbre fait naître une autorité naturelle, laissant entendre la psychologie noire du personnage plus que le jeu lui-même. En Tonio, la noirceur se fait autre, plus folle, plus obsédante, plus « malade », offrant une interprétation toute aussi convaincante.

Azer Zada écope lui aussi d’un double rôle. D’abord en Turiddu, il peine à convaincre. La projection ne semble pas être aussi imposante qu’elle pourrait l’être, le jeu est un peu fragile mais il se reprend lors de son air d’adieu à sa mère. Le rôle de Canio lui sied davantage : il parvient à mieux s’affirmer, la jalousie maladive s’exprimant avec plus de force ou de conviction.

Le Beppe de Maciej Kwaśnikowski s’exprime avec un timbre solaire, solidement projeté, tandis que Leon Kim marque avant même de chanter. En effet, lors de son apparition silencieuse dans Cavalleria rusticana, sa gestuelle et son expression deviennent aussi parlantes que des mots. L’expressivité du chanteur se confirme lorsqu’il laisse enfin entendre sa voix vibrante, chatoyante en Silvio amoureux. La Nedda de Galina Cheplakova s’avère à sa hauteur, bonbon acidulé et fruité, rond en bouche, qui se savoure à chaque note.

Enfin, Yoel Gamzou dirige l’Orchestre national Montpellier Occitanie dans ce qu’il a de meilleur à offrir. Les pages se montrent plus expressives les unes que les autres, l’émotion se charge et se décharge comme une respiration vitale insufflant la vie à l’ensemble. Les bulles à moindre effectifs mettent en perspectives les mouvements plus amples de l’orchestre.

L’Opéra de Montpellier débute ainsi brillamment sa saison, avec une proposition scénique à la fois originale et naturelle. La production permet ainsi d’associer émotion et réflexion pour une ouverture de saison prometteuse.

La rédaction
Montpellier, le 3 octobre 2025

Cavalleria rusticana / Pagliaccià l’Opéra de Montpellier les 3 et 5 octobre, avant une reprise à l’Opéra de Dijon du 5 au 9 novembre.

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