La Juive à la Bayerische Staatsoper, Munich

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C’est aujourd’hui encore une rare opportunité que de pouvoir assister à cet opéra, malgré le grand succès qu'il a connu à travers l’Europe après sa première mondiale en 1835 à Paris. Et encore aujourd'hui, le sujet de ce Grand Opéra fait montre de plus d'actualité et de modernité que jamais puisqu'il met en relief à la fois les combats religieux, la persécution et la discrimination religieuse, au travers du destin de deux hommes aux personnalités fortes, tiraillés entre un amour fatal, la puissance de la foi et une femme vertueuse.

La Juive relate une histoire sombre à la fin tragique, et à son image, la mise en scène de l'espagnol Calixto Bieito se veut tout aussi sombre et tragique (aidé par sa décoratrice Rebecca Ringst). Un gigantesque mur formé par plusieurs blocs de métal mobiles domine l’ensemble de la scène tout au long de la soirée, rappelant le mur de Berlin ou celui des Lamentations à Jérusalem. Il est tant une barrière politique entre les Chrétiens et les Juifs, qu’une barrière sociale entre gens ordinaires et classe dirigeante de l’époque du Concile de Constance, et finit par se transformer en prison lors du dernier acte. Enrichi d’un superbe travail sur les lumières par Michael Bauer et des vidéo-projections de Sarah Derendinger, l’ambiance est particulièrement touchante, parfois même déprimante, comme l’entend le livret.

Le bijoutier juif Eléazar, persécuté pour ses croyances, et le Cardinal de Brogni sont les deux rivaux de l'oeuvre. Brogni a exilé Eléazar de Rome et condamné ses fils à mort. Eléazar, bien avant ces évènements, a sauvé la fille de Brogni dans sa maison en flammes, que ce dernier croit morte. Cette fille, désormais appelée Rachel, a grandi dans la foi juive. Le destin lui fait rencontrer le Prince Leopold, dont elle tombe amoureuse, tandis qu'il se fait passer pour un peintre juif en se faisant appeler Samuel. Quand la duperie est dévoilée au grand jour, Rachel l’accuse d'entretenir une relation avec une juive et tous deux sont condamnés à mort. Bien que ses sentiments et les suppliques de la princesse Eudoxie contraignent Rachel à retirer sa plainte pour tenter de sauver la vie de son amant, la possibilité de sauver sa propre vie proposée par Brogni en renonçant à sa foi est rejetée par Eléazar. Alors que Rachel choisit le martyr et est exécutée, Eléazar lève le voile avant de mourir à son tour sur les liens de parenté que partagent Rachel et Brogni.

L’œuvre de Fromental Halevy, lui-même juif, est pleine de scènes mélodramatiques aux sonorités romantiques et chaleureuses, ainsi que de couleurs dans l’instrumentation. L’ouverture est une monumentale chorale d’orgue, dont les racines proviennent des chansons du folklore germanique et juif, rendant le son particulièrement léger et clair. Le chœur fait son apparition lors de quelques scènes, amenant la vie nécessaire sur le plateau. Le chef d’orchestre français Bertrand de Billy dévoile les trésors cachés de la partition avec sensibilité et respect, tandis que l’orchestre de la Bayerische Staatsoper le suit au doigt et à l'oeil.

Roberto Alagna endosse le rôle d’Eléazar, et après une entame timide, trouve manifestement les clefs de ce rôle exigeant. Son ténor montre quelques faiblesses dans les notes aigües, ainsi qu’en terme de volume, mais la présence scénique et le timbre de sa voix suscitent l'enthousiasme. De son côté, Ain Anger impressionne dans le rôle du cardinal de Brogni, avec sa basse à la fois pleine et chaleureuse. Mais on retient surtout la performance d’Aleksandra Kurzak, qui s’avère simplement impressionnante. Initialement annoncée dans le second rôle féminin, celui de la princesse Eudoxie, elle endosse finalement le rôle principal de Rachel, après la défection de Kristina Opolais. Sa Rachel est criante de vérité, que ce soit dans l’évolution de son affection pour son père et son amant, son désespoir ou le conflit émotionnel et oppressant qui la tiraille, le tout exprimé dans un soprano à la fois flexible et dynamique. Dans un jeu de chaises musicales, la jeune soprano allemande Vera Lotte Böcker endosse alors le rôle de la princesse Euxodie, et joue crânement sa chance : élégante, elle alterne les circonvolutions vocales entre amour irrépressible et jalousie maladive, tandis que le ténor américain John Osborn assure sa partition mais propose un Léopold plutôt terne.

Le public allemand, évidemment très au fait de sa propre histoire et émotionnellement chahuté par les thématiques de l’œuvre, réserve néanmoins des applaudissements très chaleureux à l’ensemble des participants, après quelques instants de réflexion.

Librement traduit de la chronique en anglais d'Helmut Pitcsh

La Juivenouvelle production à la Bayerische Staatsoper, Munich, du 26 juin au 8 juillet

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