Un Cosi fan tutte expérimental clôt la saison lyonnaise

Xl_2025_cosi_fan_tutte_g_c_paul_bourdrel_hd_019 © Paul Bourdel

Pour sa fin de saison, l’Opéra national de Lyon invite Marie-Eve Signeyrole qui, pour sa première venue dans la maison lyonnaise, signe un Cosi fan tutte expérimental. Ici, le sous-titre de l’œuvre, La scuola degli amanti (L'école des amants) devient l’axe principal de l’interprétation avec une véritable expérience universitaire offerte à la vue de tous.

En ouverture de soirée, un plateau tournant nous accueille avec deux bustes sculptés se faisant face pour un baiser entre eux, autour desquels gravitent les deux couples de la soirée. Tout du moins, les deux couples « primaires » en rouge et bleu, dont les couleurs vont se dégrader et se mélanger pour donner de nouveaux couples dans cette académie des Beaux-Arts dans laquelle nous entrons rapidement. Les bancs de cet amphithéâtre deviennent théâtre, scène de l’expérimentation proposée par leur professeur de philosophie, Don Alfonso. Quelques textes parlés ont été ajoutés afin de lier les différents éléments avec beaucoup de naturel, l’introduction rappelant au passage que « le regard du public parachève l’œuvre d’art ».

Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel
Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel

Ce regard, c’est justement l’un des éléments avec lesquels jouent Marie-Eve Signeyrole en invitant sur la scène 20 couples issus du public – et donc différents chaque soir – à monter sur scène pour rejoindre les forces estudiantines témoins et acteurs de cette expérience avec les amants. Le spectateur devient spectacle, sur scène comme dans la salle où il est régulièrement apostrophé par le professeur. Il est observateur, mais n’a plus rien de passif : l’observation se veut pédagogique, scientifique, vivante, le tout étalé sur une semaine de cours. Des écrans permettent de suivre la division des jours, ainsi que les conclusions étape par étape de l’observation.

Les bancs de l’amphithéâtre ne demeurent pas un seul bloc immobile et imposant : ils se divisent en quatre : deux à cour, deux à jardin, chacun divisible en parties haute et basse. Il leur arrive ainsi de s’écarter pour offrir une scène supplémentaire : un banc de vélos signifiant le départ des soldats, devant une projection de rues donnant l’illusion d’une véritable avancée, ou encore un espace pour la pose de modèles nus, l’expérience sulfureuse de touchers de fruits et légumes (projetée en gros plan), l’exposition de bustes peints, brisés, chéris, agaçant selon le personnage en face... La vidéo est un support complémentaire offrant la possibilité de saisir des expressions, ou bien un point de vue aérien pour le tableau des couples sur l’immense toile étendue au sol, ou encore des scènes légèrement cachées comme le rapprochement de Dorabelle et Despina.

Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel
Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel

Si le passage laissant voir les étudiants endormis dans l’amphithéâtre est un petit peu long, l’originalité ainsi que la réussite de la proposition restent marquantes, tout en s'inscrivant dans le respect de l’œuvre. On salue également la lisibilité, la direction d’acteurs au cordeau, les très beaux tableaux créés ou encore les magnifiques lumières de Philippe Berthomé qui offrent toutes ses dimensions à l'ensemble proposé.

Côté distribution, le Don Alfonso de Simone Del Savio mène le « TP » avec brio, vivacité, entrain. Bien des étudiants rêveraient certainement d’avoir un professeur de cette trempe, humaniste, passionné, passionnant ! Le ton employé est doctoral sans être donneur de leçon, un équilibre peu évident. La voix est à la fois solaire, colorée,  assumée et bien projetée.

Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel
Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel

Ilya Kutyukhin est un Guglielmo central. Sa fureur face à la trahison de sa bien-aimée fait perdre le contrôle de l’expérience au professeur – seulement un temps – et son visage est le modèle du buste présent sur scène. Il campe à la fois aplomb et légèreté dans une voix robuste qui suit ces deux mouvements. Son ami Ferrando est incarné par Robert Lewis, issu de l’Opéra Studio et entendu maintes fois in loco. Il peint un personnage touchant, nuancé, aux couleurs multiples tant vocalement que scéniquement.

Côté féminin, Tamara Banješević – qui nous avait saisie dans Elias ici-même – prête son talent à une Fiordiligi incarnée de la tête aux ongles, gagnée par un mal être viscéral rendu visible par la soprano : on le voit monter physiquement, gagner ses entrailles, son cœur et sa tête. Elle déploie notamment une voix de poitrine où résonnent des graves particulièrement audibles pour une soprano. Avec des aigus lumineux portés par une voix ambrée, la Dorabella de Deepa Johnny est légère, curieuse, avide, désireuse dans son sens le plus stricte. L’expérience lui ouvre les portes d’un possible encore inconnu : la possibilité de laisser libre cours à ses désirs, avec qui elle le souhaite. « Libérée » de son fiancé premier, elle capitule rapidement face au second prétendant... avant de ne plus s’interdire de suivre un autre désir, cette fois pour Despina.

Celle-ci prend vie sous les traits de Giulia Scopelliti, également issue de l’Opéra Studio. Chacune de ses interventions demeure une véritable source de joie scénique. La soprano offre une Despina décapante et décapée, totalement libre ici sentimentalement – la mise en scène permettant d’atténuer grandement sa condition de servante initiale. Son côté joueuse trouve des échos dans la manipulation de Don Alfonso, mais aussi dans les rapprochements et les relations qu’elle met en place. La voix est solide, virevoltante, nuancée, d’une belle énergie.

Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel
Cosi fan tutte, Opéra de Lyon (2025) © Paul Bourdel

Pour l’occasion, Duncan Ward se trouve à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon qui suit et appuie l’action, soulignant les sous-textes, révélant ce que les mots taisent. Equilibre et fluidité travaillent de concert sous la baguette énergique du chef. Il insuffle une ligne directrice claire, très bien tenue de la première à la dernière note, sans jamais prendre le pas sur le plateau. Quant au chœur de la maison préparé par Benedict Kearns, il demeure en coulisse mais offre comme à son habitude des interventions de grande qualité.

Avec ce Cosi fan tutte ou plutôt La scuola degli amanti, l’Opéra de Lyon termine sa saison en beauté. Marie-Eve Signeyrole offre une fois encore une lecture personnelle convaincante et une véritable expérience pour le public en salle et sur scène ! On aurait aimé avoir de tels cours à la fac !

Elodie Martinez
(Lyon, le 14 juin 2025)

Cosi fan tutte à l’Opéra de Lyon du au 14 au 24 juin 2025.

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