
Ce weekend était marqué à Nice par l’arrivée d’une nouvelle production du Barbier de Séville signée Benoît Bénichou, qui poursuit ainsi sa collaboration avec l’Opéra de la Ville. Comme à son habitude, le metteur en scène prend par surprise, offre une vision inattendue, mais en demeure-t-elle efficace et lisible ?
Nous débutons la soirée amusé par l’accueil : nos hôtes portent des masques festifs, tandis que sur scène, certaines personnes du public déambule, profitant d’une fête, musique et lumières de boîte de nuit à l’appui. Un vrai coup de jeunesse pour la salle et l’œuvre qui pique la curiosité : nous voilà donc à l’un des bals de la Comtesse. Puis le public est invité à sortir de chez elle avant qu’un film ne soit projeté sur le rideau de tulle. Malheureusement, rien n’indique qu’il s’agit d’un passage de L'Autre Tartuffe ou la Mère coupable de Beaumarchais (ultime œuvre de la trilogie de Figaro, moins connue que les deux premières), même si le texte théâtral donne un indic.
Nous retrouvons donc le Comte et la Comtesse lors d’une joute verbale où il est question de leur fils mort en duel et du second, repoussé par le mari car il est en réalité le fruit de l’adultère de la Comtesse. L’homme présente un visage hargneux et violent afin de nous orienter vers le portrait de celui qu’il deviendra au fil de sa vie et l’angle d’approche de Benoît Bénichoui plus sombre : « des lectures bouffes ont déjà été faites, et très bien faites. Avec mon équipe, il nous semblait plus intéressant de choisir cet autre éclairage – d’autant plus intéressant d’ailleurs qu’il correspond tout à fait à des dérives que l’on peut observer dans nos sociétés actuelles. Il serait vraiment très naïf et illusoir de penser que la condition des femmes que raconte cet opéra est de l’histoire ancienne ».
Le Barbier de Séville, Opéra de Nice (2025) © Dominique Jaussein
Cette vision plus sombre introduit par le film se retrouve sur scène, avec la présence continuelle de la Comtesse âgée jouée par une comédienne (Cécile Sohet). La note d’intention nous indique qu’elle « se demande si elle aurait dû rester avec son tuteur, Bartolo, si elle a vraiment bien fait de céder aux insistances d’Almaviva ». Le metteur en scène inscrit donc ce Barbier dans la perspective plus globale de la trilogie de Beaumarchais. Un travail particulièrement intéressant et bien vu.
Néanmoins, dans la pratique, on s’interroge : pourquoi ce choix de costumes assez ridicule ? La blancheur et la transparence indiquent derechef que nous avons affaire à des fantômes, des projections de l’esprit de la Comtesse se remémorant sa vie, mais affubler les hommes de cette sorte de plastique fin faisant penser à des capes de pluie bon marché les rend souvent ridicules. Faire renifler de la cocaïne – ou une autre drogue – à Almaviva et Figaro n’apporte finalement pas grand-chose, si ce n’est une image presque positive de l’usage de ces substances. On entend bien que la drogue est l’argent du Comte, en faisant une sorte de mafieux de bas étage sans charisme ni intelligence, mais est-ce que cela est pertinent dans l’histoire ? D’autant plus que cette manie va finalement disparaître au cours de la soirée. Quant au barbier, il entre en scène affublé d’une guitare électrique pour son fameux air. La raison de ceci demeure un mystère...
Le Barbier de Séville, Opéra de Nice (2025) © Dominique Jaussein
La plus grande incompréhension demeure toutefois la fin de soirée : sans crier gare, les personnages reviennent autour du piano, sur des canapés, en tenue de tous les jours. Les projections de l’esprit de la Comtesse deviennent vivantes, contemporainnes, mais poursuivent l’histoire comme si les personnages se retrouvaient pour une italienne avant que Rosina ne semble voir le cadavre de la Comtesse qui s’est donnée la mort. Les interactions entre la Comtesse et ses souvenirs auront d’ailleurs lieu toute la soirée, comme lorsqu’elle récupère le mot pour le donner ensuite à un autre personnage, participant à l’intrigue de sa mémoire.
Le décor est unique : entre des murs boisés, comme autant de portes fermées, tourne une chambre entièrement vitrée, tantôt transparente, tantôt opaque, reflétant aussi bien son intérieur que son extérieur. Il s’agit de l’espace de la Comtesse, tant présent que passé : ses deux « prisons » ne forment qu’un espace scénique atemporel, tout en demeurant lisible. Les lumières de Mathieu Cabanes répondent au rectangle de néons qui descendra des cintres pour enfermer l’espace scénique – pourquoi ? On l’ignore – et reflétera les affres de l’histoire. Elles permettront également de cacher ou dévoiler selon les besoins.
Le Barbier de Séville, Opéra de Nice (2025) © Dominique Jaussein
Coté voix, il convient de noter que nous assistions à la représentation de dimanche et non à la Première. L’Almaviva de Dave Monaco offre un timbre solaire, ambré, une belle amplitude dans les couleurs, mais une projection un peu faible en début de soirée. On s’en étonne, mais heureusement, la ligne se raffermit petit à petit pour mieux se faire entendre tandis que le jeu demeure léger, malgré le portrait négatif ou réaliste qu’en dresse la mise en scène. Ainsi, il ne refusera pas les bras de Berta jusqu’à ce qu’il mette réellement toutes ses forces dans la conquête de Rosina.
Cette dernière est incarnée par la mezzo-soprano norvégienne Lilly Jørstad. Elle attire les regards par une force intérieure qui émane naturellement de son être. La ligne est égale en toute circonstance, sans brisure, du grave à l’aigu en passant par un medium puissant, le chant circule dans l’ensemble du corps pour sortir dans un jeu particulièrement incarné.
Figaro paraît pour sa part sous les traits de Gurgen Baveyan. L’habileté du personnage se reflète dans la voix comme dans le jeu de l’interprète, avec une projection confortable et une aisance de trublion qui n’entame en rien la profondeur du chant. Une assurance et une santé vocale que l’on retrouve chez le Bartolo de Marc Barrard, dont la richesse du timbre ou de la projection liée à un jeu convaincu et convaincant demeure un plaisir.
La noirceur de la voix de Adrian Sâmpetrean sert à merveille le Basilio manipulateur qu’il incarne tandis que le Fiorello de Thibaut Desplantes s’affirme sans difficulté par une projection pleine. Enfin, la Berta de Cristina Giannelli n’est pas aussi secondaire dans cette mise en scène, demeurant présente du début à la fin par ses interventions muettes jusqu’à son air. Il marque alors d’autant plus les esprits que l’on s’est attaché à ce personnage, qu’on le connait. On apprécie particulièrement la voix charnue de la soprano, sa légèreté, ou encore son naturel.
Le Barbier de Séville, Opéra de Nice (2025) © Dominique Jaussein
Si le Chœur de l’Opéra de Nice – dirigé par Giulio Magnanini – s’avère excellent, solide et harmonieux, le plus grand des plaisirs réside probablement en fosse, avec la direction de Lucie Leguay (récompensée aux Victoires de la Musique 2023), à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice. La cheffe décape la partition, en ravive les couleurs, lui donne un second souffle plein de vie et de dynamisme. Armée de ses musiciens, elle en dresse de superbes reliefs musicaux, nous emporte dès les premières notes de l’Ouverture qui offre déjà une intention marquée, sculptée dans chaque note qui ressort ciselée, revitalisée. Rarement une direction parvient autant à nous enthousiasmer.
On ressort donc dubitatif : le projet général est particulièrement lisible et intéressant, mais le rendu sur scène interroge. La perspicacité du discours est parfois brouillée par des détails ou idées impromptues. La distribution s’avère toutefois dans son ensemble plutôt homogène dans l’excellence, et l’on ne boude pas son plaisir devant l’indubitable attrait de la direction musicale.
Elodie Martinez
(Nice, le 4 mai 2025)
Le Barbier de Séville à l'Opéra de Nice jusqu'au 8 mai 2025.
06 mai 2025 | Imprimer
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