L'Opéra 3.0 à Lyon, ou le passage à une nouvelle ère pour l'art lyrique

Xl_op_ra_3.0 © DR

Après le Théâtre de la Madeleine à Genève les 1er et 2 juin dernier, c’était au tour de Lyon d’accueillir à la Comédie Odéon (dans le cadre du Festival LyonBD) un nouveau concept, pour le moins révolutionnaire : Opéra 3.0. Si la Compagnie Cadenza à l’origine de cette idée n’est pas encore connue du grand public, cette nouvelle façon d’aborder l’art lyrique mérite pourtant que l’on parle d’elle.

Alors que les maisons d’opéra cherchent par bien des moyens de renouveler leur art afin de le moderniser, de le rendre accessible et attrayant au plus grand nombre, personne n’avait encore jamais pensé à cela : le rendre interactif. Un petit peu à la manière du « livre dont vous êtes le héros », Opéra 3.0 invite le public à créer son propre opéra grâce à des votes qui décideront de l’avancée des personnages. La Compagnie Cadenza, composée de six chanteurs, un comédien, une pianiste et un chef d’orchestre, maîtrise donc soixante-trois airs, soit trente par chanteur, créant au final 256 scénarios possibles.


Opéra 3.0 ; © elsa-Ochoa

Opéra 3.0 ; © elsa-Ochoa

Contrairement aux spectacles habituels, nous sommes invités dès le début à ne surtout pas éteindre nos téléphones portables (mais à les mettre en silencieux pour le bon fonctionnement de la soirée) afin de pouvoir voter en envoyer des sms à un numéro qui nous est indiqué. Nous serons par ailleurs guidés par « Opéraz », notre assistant virtuel interprété sur scène par le comédien Luc Chambon. Après une brève présentation des types de voix qui sont mis à notre disposition (deux sopranos, une mezzo-soprano, un ténor, un baryton et un baryton-basse qui nous est présenté comme une basse), ainsi qu’un air commun nous permettant d’entendre chaque personnage (symbolisé par la couleur de son costume), nous sommes déjà invités à choisir entre deux thèmes. Nous découvrons alors sur l’écran en fond de scène le pourcentage en direct des votes qui sont récoltés, ce qui amène parfois à un certain amusement lorsqu’une majorité écrasante se dégage, ou au contraire lorsque l’on frôle le 50% à une ou deux secondes près.

Certes, la mise en scène est relativement simple, mais c’est bien ce qu’il faut pour un tel exercice, tant pour les chanteurs que pour le public : trop de déplacements complexes perdraient très certainement tout le monde, sans oublier la taille de la salle et de la scène, très petite ici, qui contient non seulement les six chanteurs mais aussi la pianiste et le comédien, chacun sur un côté de la scène. Aux cubes de différentes tailles permettant de moduler un peu l’espace et aux couleurs des costumes s’ajoutent par ailleurs les dessins projetés de Ludivine Stock, auteure de bande dessinée, qui éclairent la dramaturgie en fonction des choix faits. Impossible donc de ne pas suivre ce qui se passe, d’autant plus qu’on l'a choisi ! Dommage cependant que la troupe ne puisse pas projeter également en surtitrage la traduction des aires chantés, ni même les titres de ces derniers. Afin de palier à cela, une solution a tout de même été trouvée, mais nous ne dévoilerons pas la surprise finale... Autres légère frustration : le premier bug de la soirée (prévu dans le scénario) qui fait redémarrer le programme à zéro, en interrompant l'opéra en court. Une fois passé l'amusement certain de la situation, on prend peur de devoir refaire ce qui a déjà été fait, mais il n'en est rien : de nouveaux choix s'offrent à nous, à commencer par ceux du thème. De légers détails qui n’entachent finalement en rien la trouvaille de cet Opéra 3.0 qui, sous couvert de technologie et de forte interactivité, se conclue sur une note des plus humaines avec notre cher Opéraz qui finit par s'introduire dans le programme pour se mêler aux chanteurs, finissant dans une note festive après que chacun d'eux nous ait ravi par un extrait a capella.


Opéra 3.0 ; © elsa-Ochoa

Côté voix, nous avons pu entendre les sopranos Claire Adeline Puvilland, régulièrement invitée dans les Chœurs de l’Opéra de Lyon mais aussi soliste qui se produit sur scène dans divers opéras, en récital et formations de chambre, ainsi que Marie-Camille Vaquié-Depraz, que certains ont pu entendre cette saison dans le Stabat Mater de Dvorak au Victoria Hall de Genève sous la direction de Romain Mayor. Toutes deux se sortent très bien de cette exercice avec une projection en adéquation avec la taille de la salle. Emmanuelle Fruchard, elle aussi régulièrement invitée dans les Chœurs de l’Opéra de Lyon, soliste sur scène y compris dans le répertoire de la musique sacrée ainsi que fondatrice de l’ensemble Oxymore, prêtait pour sa part sa voix de mezzo-soprano au timbre chaud. Le ténor Nicolas Gambotti, qui a notamment remporté le Grand Prix du Concours International de Chant de Rennes en 2000, marque la soirée de son timbre clair et fort bien projeté, de même que le baryton espagnol Marcos Garcia Gutierrez, qui s’est déjà produit à Ambronay, au Théâtre Royal de Versailles, à l’Amphithéâtre de la Bastille, ou à la Cité de la Musique de Paris. Enfin, Antoine Bernheim (dont le nom de famille parlera aux amateurs lyriques) vient clore cette distribution. Lauréat du Concours International de Moirans, du Concours International della Citta di Racconigi, et vainqueur du Concours International Pietro Sardelli à Rome, il est – ainsi que nous l’avons dit plus haut – présenté comme « basse » mais l’on entend bien vite que son registre est davantage celui d’un baryton-basse. Cela semble amené quelques petites difficultés dans le chant qui n’est alors pas forcément le plus adéquat pour cette voix. Il récolte cependant, de même que ses collègues, les applaudissements mérités de la part du publicqui n'a pas besoin d'être connaisseur pour prendre plaisir et (re)découvrir certaines pages d'opéras connus. Enfin, n’oublions pas le jeune chef colombien Juan David Molano qui a dirigé l’Orchestre Philharmonique de Kharkov en Ukraine, l’Orchestre Symphonique de Caldas en Colombie, l’Orchestre des Jeunes de Galice en Espagne et, pendant un an, l’Orchestre de l’Université des Arts à Londres. Il est depuis 2015 le chef principal de L’Orchestre Ribaupierre à Vevey.

Une excellente initiative dont le concept mérite d'être développé et de gagner davantage de salles. Un bon moyen également de faire découvrir le répertoire lyrique au plus grand nombre, tout en faisant passer une bonne soirée aux plus connaisseurs qui, pour une fois, sont maîtres des destins des héros sur scène...

En attendant de pouvoir tenter cette expérience par vous-mêmes, n’hésitez pas à vous rendre sur le site officiel d'Opéra 3.0 pour de plus amples informations.

Elodie Martinez
(Lyon, le 10 juin 2018)

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