Le retour du Messie de Deborah Warner à Lyon : l'illustration parfaite

Xl_lemessie01_copyrightstofleth © Stofleth

Après presque neuf ans jour pour jour, l’Opéra national de Lyon programme à nouveau le Messie de Haendel mis en scène par Deborah Warner en 2012, qui avait été créé avant cela en 2009 sur la scène londonienne de l’ENO. Alors que la célèbre Fête des Lumières de la ville vient de prendre fin, la maison lyonnaise offre à son public une toute autre lumière, plus profonde, et qui, au-delà des yeux, illumine l’âme.


Le Messie, Opéra de Lyon ; © Stofleth

L’œuvre de Haendel étant un oratorio, la dimension spirituelle et religieuse est partie intégrante de ses pages et se suffit à elle-même : nul besoin de l’exacerber quand elle est inscrite dans l’ADN-même de la musique et du chant. L'œuvre est un tel aboutissement que tout est dit – ou presque – dans la partition. Dès lors, Deborah Warner ne veut pas inventer une histoire narrative se superposant au livret, et elle n’oublie pas non plus la dimension humaine de l’œuvre : « Haendel a donné cette musique à des humains, non à des anges, et j’ai voulu que chaque participant y apporte sa propre personnalité ». Certainement est-ce dans cette optique qu’elle a réuni une fois encore, en plus des solistes, du chœur de la maison et de danseurs, un community chorus ou ensemble de la société civile. Ce dernier n’est pas formé de professionnels, mais des personnes issues de différentes origines, âges ou courants de pensée, etc. Des gens que l’on croise dans la rue. Des gens, tout simplement. De l’humain donc, et de l’accessibilité, le tout soupoudré de subtilité : celle du fil conducteur de la soirée avec ce jeune garçon présent dans les trois parties, mis en avant juste ce qu’il faut pour qu’on le remarque, sans pour autant qu’il occupe le devant de la scène et accapare toute l’attention.


Le Messie, Opéra de Lyon ; © Stofleth

Forte de ces axes, la metteure en scène ne transforme donc pas l’œuvre : elle n’en fait pas une histoire linéaire, plus pratique à représenter au théâtre. Elle la respecte et la met en avant, en l’illustrant de manière efficace, simple et parlante pour le spectateur (c’est d’ailleurs sur la définition de « Messiah » que débute la représentation, avant même les première notes). Ainsi, lorsqu’il est question de « Behold the Lamb of God » (« Voici l'Agneau de Dieu »), la peinture d’un agneau est projetée sur scène. Lorsqu’il est question de maternité, le spectateur peut voir sur l’un des écrans l’image d’un embryon qui se développe tandis qu’un autre écran montre une peinture de la Vierge. Lorsqu’il est question de purification, ce sont des images d’eau, etc… Les images sont lisibles, mêlant des peintures anciennes avec des vidéos plus modernes, unissant ainsi passé et présent. L’ouverture est d’ailleurs illustrée par la course folle d’images en accélérées, notamment de ville avec ses lumières, sa circulation, ancrant le spectateur dans une certaine modernité et atemporalité de l’œuvre, ce qui se retrouve dans les costumes simples et contemporains. Nous retrouvons également ces images accélérées alors que résonne « All we, like sheep » (« Nous tous, comme des moutons »), mais on y voit cette fois-ci des hommes et des femmes dans la rue, sur des escalators et des escaliers, s’activant telles des fourmis, ou bien des voitures à un carrefour. Les exemples sont encore nombreux, mais le lecteur aura compris l’emploi de ces écrans pour illustrer le texte chanté, très simplement ou bien de façon un peu plus symbolique mais toujours lisible comme avec ce dernier exemple.


Le Messie, Opéra de Lyon ; © Stofleth

L’illustration imaginée par Deborah Warner se retrouve également dans la chorégraphie de Kim Brandstrup, comme pour « He was dispised » où la danse permet d’exprimer le mépris et le rejet, alors transposés dans les mouvements des danseurs. La violence se fait ici art. Mais le théâtre, ce sont également des accessoires, des décors, des mouvements sur scène : toujours en simplicité, la metteure en scène juxtapose tout cela et crée des tableaux magnifiques, comme la révélation sublime de cet arbre doré dans la deuxième partie, en prémices aux joies du célèbre Hallelujah qui suivra plus tard ; ou encore cette troisième partie laissant voir la soprano mourir dans un lit d’hôpital tandis que les choristes sont dans la pénombre, allongés sur des tombes en plexiglas, en attendant de revenir à la vie une fois touchés par le jeune garçon que nous évoquions plus haut. La montée en puissance du « Amen » final sera illustrée non seulement par la ligne de chant du chœur, mais aussi par la lumière de plus en plus intense en fond de scène, toujours en douceur et non dans l’agressivité. Le finale est une célébration, et le public se trouve sous une pluie de confettis dorés. Tout est visuellement magnifiquement orchestré, jusque dans des détails qui se ressentent davantage qu’ils ne se voient, pour créer une émotion bien présente et laisser assez de place au spectateur pour percevoir l‘œuvre comme il l’entend : « Notre but est d’offrir des éléments visuels pour aider le public à entendre la musique de façon plus profonde. Bien sûr, je ne souhaite pas détourner l’attention de la musique, et je veux que ce que nous faisons soit ouvert et laisse assez d’espace pour que chacun, selon son imagination, puisse donner sa signification » explique Deborah Warner.


Anna Devin dans Le Messie, Opéra de Lyon ; © Stofleth

Côté solistes, le ténor Allan Clayton fait un peu peur en début de représentation, avec une projection et une voix qui ne semblent pas très assurées. Passé ce qui devait être le trac de la Première, nous sommes heureux d’entendre un chant plus défini et affirmé. Christine Rice offre une prestation de bonne envergure, parvenant à se faire entendre sans forcer le passage, avec des mediums et des graves assez agréables, notamment dans « He was dispised ». La soprano Anna Devin brille tout particulièrement lors de son air, agonisante dans son lit d’hôpital, toujours d’une voix lumineuse malgré l’extinction de son être. Enfin, Christopher Purves entendu ici-même en ouverture de saison dans le rôle de Falstafffait à nouveau entendre une voix pleine. L’implication des chanteurs apparaît sans faille.

Toutefois, c’est bien sûr le Chœur de l’Opéra de Lyon le grand triomphateur de la soirée : toujours excellent, il devient ici foule riche des personnalités qui la composent. Le chœur est un, mais il est formé d'individus : il est donc un, et pluriel à la fois. L’unité de l’ensemble s’entend, mais les voix savent également se séparer pour mieux se faire entendre en réponse les unes aux autres dans certains airs, ou bien se distinguer pour monter en puissance. Loin d’être laissés de côté scéniquement, ils sont impliqués de bout en bout, interprètes à part entière, parfois parents, amis, famille des enfants formant la crèche, simple gens heureux de se retrouver, spectateur de la vie mais également acteurs.

Autre grand gagnant de la soirée, l’Orchestre de la maison dirigé par Stefano Montanari qui brille de mille feux, explose en feu d’artifice, mais se montre également calme et apaisé, ne débordant jamais sur les voix de la scène. Le chef connaît bien l’ensemble lyonnais maintenant, et les expériences passées sont aujourd’hui expertise, ce qui lui permet de tirer le meilleur de la phalange lyonnaise dont ne connaît déjà bien les mérites.

Ce Messie illustré avec intelligence et finesse par Deborah Warner se nourrit finalement des personnes qui composent la production pour mieux se faire entendre et voir, humainement et universellement. Il y a quelque chose d’apaisant et d’exaltant dans cette mise en scène. On en ressort ainsi à la fois revigoré, le cœur et l’âme réchauffés pour mieux affronter l’extérieur et des lendemains qui, contrairement à cette soirée, ne chantent pas toujours.

Elodie Martinez
(Lyon, le 13 décembre)

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