Jeanne au bûcher enflamme-t-elle la scène de l’Opéra de Lyon ?

Xl_operajeanneaubucher14_copyrightstofleth_0 © Stofleth

Jeanne au bûcher d’Arthur Honegger avait déjà fait parler d’elle lorsque Marion Cotillard avait repris le rôle également tenu par sa mère pour une représentation unique à la Philharmonie de Paris en 2012. Elle s’inscrivait alors dans les grandes comédiennes qui avaient déjà tenu le rôle de Jeanne depuis la création de l’opéra en 1938 à Bâle : Ida Rubinstein, Ingrid Bergman, Isabelle Huppert ou encore Sylvie Testud. Actuellement, c’est l’actrice Audrey Bonnet qui reprend le flambeau à l’Opéra de Lyon dans la mise en scène de Romeo Castellucci.

Le metteur en scène italien n’est pas réputé pour laisser indifférent, ni pour un travail classique sur les œuvres : il n’est pas rare qu’il offre une lecture très personnelle, voire une interprétation plus personnelle que fidèle. Ici, Jeanne d’Arc apparaît d’abord sous les traits d’un technicien de surface dans une école primaire d'une époque passée (les années 50 peut-être, la datation est difficile et sans réelle importance). Difficile de se trouver convaincu de prime abord. De seconde aussi d’ailleurs : durant les 20 premières minutes (sur une représentation d’une heure et demi environ), pas une note ni d’instrument ni de chant ne s’élève. Si Romeo Castellucci invite au silence par le biais de ce long temps d'attente afin de mieux préparer l'auditoire à la musique qui va suivre, cette période muette n'en reste pas moins trop longue, comme le montrent les murmures et les applaudissements qui, passé un certains temps, se faisaient finalement entendre dans la salle pour marquer l'impatience de beaucoup.

La scène s’ouvre donc sur une classe remplie d’élèves et d’une institutrice qui ne cesse de réclamer le silence (allusion à celui qui est attendu durant la représentation) avant que ne retentisse la sonnerie donnant lieu à un brouhaha de fin de cours. La salle se vide alors avant que n’apparaisse le technicien de surface qui commence à ranger et nettoyer. Il s’assoupit un très court instant, puis reprend son rangement qui se fait alors de plus en plus brouillon et bruyant, finissant par débarrasser entièrement la classe de ses chaises et bureaux jetés dans le couloir, s’attaquant ensuite au tableau accroché (provoquant de nombreux rire dans le public). Le technicien s’enferme ensuite dans la classe avec une arme (qu'il pose presque immédiatement) et les membres de l’établissement sont finalement alertés par un de ses collègues voyant la porte close. Enfin, nous avons droit à un peu de musique !


Audrey Bonnet ; © Stofleth

Denis Podalydès; © Stofleth

Dans cette logique de salle qui se vide marquant un vide intérieur ainsi que le lâcher prise avec la réalité, il n’y a rien d’étonnant à ce que Frère Dominique soit le directeur de l’école, récitant son texte avec quelques haussements d’épaules, comme s’il se demandait pourquoi il disait cela. Le ton emprunté est dénué de sentiment et d'humanité, presque robotisé, coupé finalement du sens des mots prononcés. Aucun lien n’est véritablement créé entre l’oeuvre et la scène. Le technicien de surface se déshabillera assez rapidement pour finir nu et laisser voir qu’il s’agit d’Audrey Bonnet, la voix travestie d’homme laissant alors place à sa voix de femme. Quand bien même on chercherait à expliquer cela par une maladie mentale, une sorte de folie, ou plus exactement une importante psychose d’un technicien de surface se prenant pour Jeanne d’Arc et plongeant de plus en plus profondément (au propre comme au figuré puis qu'il/elle creuse dans le sol) dans son délire, on n’en reste pas moins dubitatif et l’on regarde régulièrement sa montre. Aucun des 11 tableaux de l'oeuvre n’est finalement représenté sur scène et les chanteurs (solistes et chœurs) ne se font entendre qu’à partir des coulisses (au point que l’on ignore finalement qui on applaudit sur scène quand on ne connaît pas déjà les interprètes).

L’idée, toutefois, de ne faire entendre que des voix sans aucune apparition physique n'est pas du tout dénuée d'intérêt dans le cas de Jeanne d’Arc, puisque c’est au public de se retrouver dans la même situation en entendant des voix. Autre point intéressant de la mise en scène, le fait que, dès le début, Jeanne creuse sa propre tombe, de même qu’elle le fit dans l’Histoire de manière plus symbolique. 

Néanmoins, si la mise en scène ne nous convainc pas, il faut savoir reconnaître le talent, à commencer par celui d’Audrey Bonnet qui offre une performance saisissante, tour à tour femme au bord de l’immolation, enfant, guerrière, femme forte et fragile, au début de sa vie et à la fin… Difficile, malgré la mise en scène, de ne pas être touché en entendant son « c’est moi qui vais faire le joli cierge ». Denis Podalydès, pour sa part, est aussi neutre qu’Audrey Bonnet est convaincante, récitant un rôle sans y croire (mais nous ne doutons pas qu'il s'inscrit dans la mise en scène de Castellucci), souvent difficilement intelligible à cause de la sonorisation choisie. Côté chant, Ilse Eerens (soprano solo, la Vierge), Valentine Lemercier (Marguerite), Marie Karall (Catherine) et Jean-Noël Briend (ténor solo faisant une voix, Porcus, Héraut 1, le clerc) offrent une très belle prestation de coulisse, avec la projection que leur permet leur position derrière des murs, se faisant entendre et comprendre malgré tout. Ils viendront saluer en costume de leur personnage afin de nous aider à identifier qui chantait quel personnage… Le Chœur de l’Opéra de Lyon pioche parmi ses rangs quelques solistes pour les autres rôles, ne déméritant pas, mais difficile alors de savoir qui chantait quoi lorsqu’on ne connaît pas la partition par cœur. L’ensemble des Chœurs est par ailleurs à saluer, offrant comme à leur habitude une très belle prestation.

Enfin, Kazushi Ono dirige son dernier opéra en tant que chef permanent de l’Opéra de Lyon avec beaucoup d’intelligence, conservant un équilibre entre la scène où parle Audrey Bonnet sans micro (certainement cela pose problème pour les rangs éloignés) et la fosse qui rend honneur à la partition de Honnegger, très accessible pour une œuvre du XXème siècle.

Dommage, vraiment, que la mise en scène de Romeo Castellucci vienne ternir l’ensemble de la production pourtant longtemps applaudie lors des saluts.

Elodie Martinez

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