
Un trio à deux. L’équation peut surprendre, mais c’est pourtant ce que proposent Emmanuelle Dauvin et Heather Newhouse pour leur disque Cantata a 2 paru chez Hitasura. Une mathématique rendue possible par la violoniste et organiste ainsi que son OVNI Baroque – entendez par là Orgue & Violon Nouvelle Interprétation. Le tout autour d’œuvres de Bach, dont certaines quelque peu arrangées pour un résultat surprenant et paisible.
La surprise vient de la technique qui ne s’entend pas : celle d’Emmanuelle Dauvin, jouant de deux instruments à la fois. Ainsi qu’elle l’indique dans le livret : « en découvrant qu’à la fin du XVIIème siècle, Nicolaus Bruhns jouait du violon en s’accompagnant au pédalier de l’orgue, j’ai immédiatement senti que s’ouvrait un terrain d’exploration infini ». Voilà comment cette musicienne a décidé de suivre les traces de son prédécesseur et a réussi le tour de force de jouer du violon et de l’orgue (au pédalier) en même temps. Un OVNI baroque, en effet !
Pour cet enregistrement au disque, l’instrumentiste a été rejointe par la soprano Heather Newhouse pour une Cantata a 2 composée d’œuvres de Bach pour violon seul, des œuvres pour violon et basse, et des œuvres pour soprano, violon et basse. A partir de là, les deux artistes ont pu créer un agencement dramatique, « imaginer une architecture cohérente, trouver un équilibre dans l’alternance et le parcours émotionnel qui en émane ». Le résultat est somme toute convaincant, offrant des alternances dans la structure (entre sinfonia, récit, air, choral...), dans une atmosphère globale paisible accentuée par la résonnance de la voix dans l’église de Saint-Pierre-d’Albigny où le disque a été enregistré.
L’entrée en matière est toutefois plus corsée, vive, avec la Sinfonia – Cantate BWV 29/Partita BWX 1006. Place aux instruments d’Emmanuelle Dauvin, avec l’orgue comme véritable support à la voix du violon plus virevoltante mais qui, paradoxalement, ne prend pas son envol vers les cieux, demeurant farouchement accroché à la terre... et à l’orgue aux pieds de la musicienne. L’accroche des coups d’archet offre du caractère, celui de l’instrument se mêlant à l’interprétation.
Il ne faut pas attendre au-delà de la deuxième piste pour entendre résonner la voix de Heather Newhouse, aérienne, solaire, occupant tout l’espace, comme si elle entourait pleinement l’orgue et le violon. De manière général, on a l’impression d’un son central et net du violon, légèrement moins pour l’orgue, et s’évaporant dans le flou pour la partie vocale. Ainsi plus lointaine, la voix prend une autre dimension qui, il faut l’admettre, sied bien à la soprano mais peut aussi gêner certaines oreilles. Chacun appréciera ici selon ses goûts personnels. Pour notre part, la ligne de chant demeurant nette, cette « évaporation » dans l’espace nous paraît au contraire offrir un équilibre intéressant.
L’harmonie et la complicité entre les deux femmes exultent généreusement tout au long de l’écoute. L’attention portée l’une à l’autre offre de belles couleurs, un enrichissement mutuel. Un Ying et Yang aux porosités délectables : à la douceur de l’une répond la rugosité de l’autre. A la verticalité répond l’horizontalité. Aux céleste répond le terrestre. Tout cela sans jamais empiéter sur le domaine de l’autre, sans jamais basculer et tout faire s’effondrer. Un véritable exercice funambulesque.
Ainsi, si l’on apprécie les talents multiples d’Emmanuelle Dauvin, notamment au violon comme dans la Sonate BWV 1005 où sa dextérité se libère, respire, laissant entendre le caractère boisé de l’instrument et ses attaques franches, affirmées, on se délecte aussi de ceux de Heather Newhouse. La douceur du timbre poli, irisé, aux reflets ronds dans les mediums, au registre harmonieux, le chant affirmé sans être vindicatif, la ligne à la fois douce et assurée... Tout est plaisant à entendre et emporte l’oreille. Les variations offrent de poumons où l’air circule librement, insufflant vie et caractère ; l’interprétation profonde, sans contrition exagérée, sert pour sa part un cœur battant au texte.
Ce disque ne s’entend finalement pas en « fond sonore » : il exige une véritable écoute, bercé de repos. En échange, il saura offrir apaisement et plaisirs réels à l’auditeur ou l’auditrice qui n’aura pas à fournir davantage d’effort pour être happé(e) dans cette Cantata a 2, ce surprenant trio à deux, cette équation magique rendue possible grâce aux talents combinés d’Emmanuelle Dauvin et Heather Newhouse.
20 août 2025 | Imprimer
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