Chronique d'album : Vienna : Fin de siècle, Barbara Hannigan et Reinbert de Leeuw

Xl_vienna_chro © DR

Les amateurs de l’opéra connaissent bien aujourd’hui le nom de Barbara Hannigan qui partage sa carrière entre la direction d’orchestre et le chant. Ainsi, si sa prestation à la tête et aux côtés de l’Opéra de Lyon fut l'un des temps forts des dernières Victoires de la Musique Classique, c’est bien en tant qu’interprète qu’elle a brillé lors de la création mondiale de Lessons in Love and Violence à la Royal Opera House en mai dernier. En cette rentrée 2018, c’est également en tant que soprano que nous la retrouvons dans un nouvel album, Vienna : Fin de siècle, consacré « aux sources de la musique moderne, avec les compositeurs qui ont marqué le virage du XXe siècle », accompagnée au piano par Reinbert de Leeuw.

Barbara Hannigan ne cache pas son goût pour ce répertoire contemporain, et l’on ne s’étonne donc pas du choix de ce programme aux côtés de son partenaire et mentor de longue date qui est lui aussi une grande figure de la musique du XXe siècle, et avec qui elle avait déjà enregistré un premier album consacré au Socrate de Satie (qui fut un véritable succès). Dans cet opus, le duo explore les racines de la musique contemporaine avec les compositeurs qui ont mené la révolution musicale du siècle dernier, tels que Arnold Schoenberg, Hugo Wolf, Anton Webern, Alexander Zemlinsky, Alma Mahler ou Alban Berg. Et si Vienne est dans le titre de l’album, c’est parce que ce dernier propose une vision de la ville à l’époque où le romantisme tardif atteint son apogée.

Vocalement, nous retrouvons la soprano et sa sensibilité dramatique hors pair parvenant à faire de chaque lied presque un condensé d’opéra. L’enregistrement rend honneur à la voix et à la musique dont les nuances sont savamment maîtrisées tout au long des 31 pistes qui composent l’album, comme autant d’illustrations de la sensibilité artistique de l’époque. Selon Reinbert de Leeuw, il faut y voir « la combinaison de textes et de musique », c’est-à-dire de poèmes dont les mots ont un sens intelligible pour l’esprit, mais qui déploient une émotion infiniment décuplée une fois mis en musique, qui permet ainsi une meilleure compréhension et une appréhension plus complète du monde (jouant sur le double sens en anglais des termes words et world : les mots, words, une fois mis en musique, ouvrent la voie vers une compréhension du monde, world). Les amateurs de ce registre trouveront assurément leur bonheur dans l’interprétation magistrale de ce répertoire exigeant, née du mariage de la voix unique de Barbara Hannigan et du piano de Reinbert de Leeuw, mais, on le comprend, on est très loin ici des tubes de l’opéra. Si le langage est riche, porté par les grands jeux de dissonance et d’harmonie, l’enchainement de lieder pourrait paraitre répétitif, voire presque rébarbatif à une oreille non exercée, au risque de lasser l’auditeur peu féru ou connaisseur de ce répertoire. Vienna : Fin de siècle s’adresse à l'évidence à un public averti.

La beauté de l’exécution vocale n’en reste pas moins indubitable, de même que la parfaite osmose et la complicité avec le piano. Ceux qui sont sensibles à cette musique unique, à ce langage dynamique, à ce « moment de décadence ultime dans l’histoire de la musique » trouveront en Barbara Hannigan et Reinbert de Leeuw de formidables interprètes. Un voyage inoubliable les attend dans cet enregistrement qui n’est pas destiné au plus grand nombre malgré un livret contenant l’ensemble des textes, ses traductions françaises et anglaises, ainsi que quelques mots et photos des deux interprètes.

Elodie Martinez

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