Chronique d'album : "Rebirth", de Sonya Yoncheva

Xl_rebirth © DR

Nous l’avons déjà relevé, la crise sanitaire actuelle multiplie les problématiques mais elle permet également aux artistes de retrouver ce qui leur manque souvent : du temps. La longue parenthèse qu’ils traversent leur donne ainsi parfois l’occasion et l’opportunité de concrétiser des projets d’enregistrements, jusque-là laissés de côté. C’est ici le cas de Sonya Yoncheva, qui a pu mettre à profit le temps libéré afin de retrouver le chef Leonardo García Alarcón autour d’un album dont l’idée est née il y a une dizaine d’années ! Un disque qui paraît cette fin de semaine chez Sony Classical, reflétant le caractère solaire et optimiste des artistes sous le titre de Rebirth, symbolisant la renaissance d’une créativité – et la créativité d’une renaissance – , ainsi qu’un message d’espoir pour celle qui finira par arriver après ces temps difficiles. Un vrai « bébé » accouché du silence dans lequel le monde lyrique a été plongé.

L'ouverture du disque est teintée de noirceur et de mélancolie, avec « Queste lagrime e sospiri » d’Alessandro Stradella, marquant le point de départ du cheminement de la renaissance, depuis de sombres ténèbres jusqu’à la lumière de la vie. Car la renaissance est un véritable processus et pour qu’il ait lieu, il faut un néant, un état mortuaire, des cendres desquelles renaître. Un premier air dont la tonalité et le tempo très lents permettent derechef à Sonya Yoncheva de briller dans l’interprétation, la délicatesse du murmure chanté, les notes servies avec lenteur, fixant l’intention sur chacune d’elles. L’oreille se tend d’elle-même pour suivre la voix qui retransmet les profondeurs des nuances interprétatives de la soprano, tandis que le talent de Cappella Mediterranea, dirigé par Leonardo García Alarcón, la porte avec brio, plante le contexte musical comme le décors sur une scène. Tout au long du disque, les musiciens se feront également excellents éclairagistes, trouvant la lumière exacte pour faire briller la soprano, mais aussi parfaits premiers rôles dans les parties instrumentales. Avec O rosetta, che rosetta SV 237 (Monteverdi), l’ensemble change ensuite totalement de registre, aparté guilleret et instrumental, avant l’air d’Adelante « Ed è pur vero, o core… » du Xerse de Cavalli, à nouveau plus contemplatif.

Bien que l’Italie soit particulièrement présente dans cette renaissance, de même que le baroque, le disque promet un véritable mélange, la rencontre de langues, de nationalités et d'époques. Ainsi, on trouve parmi les compositeurs Orlando Gibbons et son Silver Swan, court chant relatant celui du cygne mourant, dont les seules notes de sa vie furent celles de ce triste moment. L’Espagne aussi est représentée, par José Marín et Tomás de Torrejón y Velasco, tout comme le Venezuela avec Simón Díaz qui montre également l’impressionnante étendue du répertoire défendu ici, couvrant cinq siècles de musique (et qui offre par ailleurs un superbe terrain de jeu pour les cordes de l’ensemble qui s’expriment avec justesse, dans une belle palette chromatique). N’oublions pas l’Argentine portée haut par le chef Leonardo García Alarcón qui endosse ici aussi un rôle de compositeur au travers du travail qu’il a réalisé autour d’Il Prometeo d’Antonio Draghi, ou encore la Bulgarie évoquée dans une chanson issue de son folklore, « Zableyalo mi agǎnce ». Le lecteur devinera aisément que la cantatrice déverse une sensualité plaintive qui envoûte, même sans compréhension des paroles (comptant l’histoire d’un agneau pleurant, et demandant où est sa mère). La voix se laisse aller à des accents typiques du folklore local, mise en avant par un accompagnement extrêmement léger, existant juste ce qu’il faut pour faire briller la vocalité joliment développée.

« S’apre la tomba » (Monteverdi) est un autre très beau moment, laissant briller toute la dramaturgie de la ligne de chant de Sonya Yoncheva, dont les graves brillent avec une douceur cendrée. L’ « Oblivion soave » est un pur moment de délice, dans cette version soprano magnifiquement maîtrisée, tant techniquement que dans l’interprétation – on remarquera l’ultime note tenue dans un filet de voix –, invitant au sommeil. Après tout, le sommeil n’est-il pas la première étape avant le tumulte des rêves et la renaissance qu’est le réveil ?

Parmi les nombreuses belles autres expériences du disque, relevons celle de « Come again, sweet love doth now invite », du compositeur anglais John Dowland, de toute beauté et que l’on croirait être une adaptation d’un air de variété moderne. Le pari de montrer le caractère contemporain de la musique baroque est ici pleinement relevé ! Suit le dynamique « No hay que decir el primor », avant de terminer l’écoute sur « Like an Angel Passing Through My Room ». La musique laissait petit à petit entendre l’idée d’une renaissance, d’un retour à la vie après un univers sombre et la mort, essentielle à une renaissance tout autant que la destruction l’est à la reconstruction. Ici, le titre fait écho à l’époque baroque sans hiatus, et ouvre les portes d’un crépuscule, d’une « solitude paisible », d’un « présent (qui) se jette dans le passé ». Avec une infinie douceur, nos oreilles s’ouvrent vers le renouveau et une possibilité nouvelle : celle du jour naissant après la nuit, du calme après la tempête, de l’apaisement après le chaos, de la lumière plus vive pour être née après les ténèbres. Ici, l’écoute finit sur une note d’espoir, loin de l’impression de noirceur et de mélancolie du départ. Notre voyage est donc fini, bien que l’écoute soit passée sans que nous ne nous en rendions compte.

Côté livret, en tant qu’auditeur et lecteur français, on regrette l’absence de traduction car le texte de présentation, long et intéressant, visant à expliquer l’histoire et la démarche à l'origine de l'enregistrement, n’est proposé qu’en anglais et en allemand. On apprécie néanmoins la présence des paroles – même si l'unique traduction est anglaise –, dans une belle esthétique de présentation, douce et légère.

Avec ce quatrième disque chez Sony Classical, Sonya Yoncheva offre une superbe palette de nuances, de couleurs, d’âmes et d’interprétations, dans un voyage (quasi) initiatique portée par Leonardo García Alarcón et Cappella Mediterranea. L’alliance de leurs talents apparaît ici comme l’arc-en-ciel après le Déluge, signe d’une renaissance et d’espoir en l’avenir.

Elodie Martinez

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading