Chronique d'album : "Parla, canta, respira", de Lise Viricel

Xl_parla_canta_respira © DR

Le 19 mars, les éditions Seulétoile lançaient le disque Parla, canta, respira, imaginé par la soprano Lise Viricel, accompagnée par l'ensemble Le Stelle. Un disque aux allures de portrait musical de la compositrice Barbara Strozzi (1619-1677), « entre musique ancienne et poésie d'aujourd'hui » puisque l'album fait se rencontrer les Madrigaux de la compositrice et les poèmes contemporains d'Erri de Luca, dits par le récitant Peter de Laurentiis.

Selon les mots de la soprano qui introduisent le livret, « on sait de Barbara Strozzi qu’elle était chanteuse, que son écriture témoigne d’une audace contrapuntique et d’une solide connaissance de la voix chantée. Son œuvre montre aussi une sensibilité profonde et touchante pour la poésie, que l’on perçoit dans le soin qu’elle porte à sa prosodie ». Le texte occupe une place centrale dans l’œuvre de la compositrice, et donc dans l’enregistrement. Prima le parole, et pour illustrer ce concept, certains madrigaux ont également été adaptés. Si la partie soprano est chantée, les instruments prenant en charge une voix ont fait l'objet d'une attentionparticulière : « nous avons voulu leur faire dire le texte, avec ses intentions, ses consonnes et ses accents toniques ». Le contrepoint est aussi l'une des lignes directrices du disque, mis en exergue cette fois-ci par l’inclusion des textes d’Erri de Luca, écrivain né à Naples en 1950, dans un « dialogue entre musique du passé et poésie de notre temps, voix d’homme en contrepoint à la voix féminine pour parler avec elle, et parler d’elle ».

Il faut dire que Lise Viricel a découvert Barbara Strozzi au cours de ses études au conservatoire, et que la compositrice ne l’a plus quittée : « elle m’a accompagnée, a nourri ma vision de la musique, de l’interprétation aussi ». Pourtant, la compositrice – comme nombre de ses consoeurs – reste encore peu connue et très peu chantée puisqu’une partie de son œuvre n’a même encore jamais été enregistrée. À ce titre, Parla, canta, respira est un trésor qui n'ambitionne pas pour autant d'être travail de recehrches musicologique (même si elles sont indéniables), mais une « invitation à la découverte intuitive et sensorielle ».

Tout au long du disque, les mots sont mis en exergue, à commencer par « Bella » (« belle ») qui ouvre l'enregistrement et en donne le ton. Le texte et le chant se font écho : l'air « G'occhi superbi » et ses yeux méprisants répondent aux « gens dans la rue » qui « s’étaient rincé les yeux » dans le poème d’Erri de Luca. Plus loin, dans la Lettre, les « mots acérés » peuvent être ceux des amants des airs qui accompagnent le texte ou les amants méprisés de l'aria « Dal pianto degli amanti scherniti ». Les déclarations d'amour se répondent et s'éclairent multuellement, tout en conservant leur existence propre. L'articulation du disque est réflechie avec sagesse et délicatesse, comme pour mieux refléter la féminité de la compositrice. 

L’écoutes se fait sans effort et nous berce entre mot et musique – notamment dans l'air « L’Amante segreto » ou dans l’extrait instrumental Sino alla morte qui déploie des élans languissants, ponctués de soubresauts joyeux piquant la surface de la musique. Une musique hypnotisante, claire et profonde, marquée d’ondes charmeuses et charmantes. Une musique qui prend des accents d'une étonnante modernité par son écriture, et le soin porté par les instrumentiste à l’interprétation des œuvres, favorisant les alternances et les variations.

Parmi les nombreux airs proposés ici, difficile de faire un choix tant l’écoute est limpide et ne souffre nul accroc ou critique. Citons toutefois le plus long d’entre eux, « Cieli, stelle, deitadi », dont la musique comme les mots partent de la mortalité humaine pour s’élever vers les cieux, dressant un pont que nous empruntons en succombant avec délice aux charmes de l'air. Ou encore « L’Amante modesto », dont les vents de l’ensemble ne font qu’un avec ceux qui emportent des jours qui « volent, pressés ». Quant au dernier air, « Priego ad Amore » est une belle déclaration à la compositrice, dont le prénom Barbara est l’un des derniers mots à résonner à nos oreilles.

Lise Viricel orchestre ce projet à la fois très beau et original. Elle n’en demeure pas moins aussi une formidable interprète, projetant une voix claire soulignant sa relation particulière avec Barbara Strozzi et ses partitions. Les mots, si importants ici, sont fort bien servis par la diction de la jeune soprano, capables de beaux élans, sans artifice ni faste gratuit. La voix demeure au service de la musique, et la musique, au service du texte. Une musique sublimée par l’ensemble Le Stelle, dont on connait les mérites. Enfin, le livret permet de suivre les textes, si importants ici, et s’il est fin, il offre tout ce dont l’auditeur ou le lecteur a besoin.

Voici un disque qui invite à la découverte d'un trésor fabuleux trop longtemps caché, révélé par une très belle interprète et une maison d'édition discrète. Il serait dommage de passer à côté et de ne pas s'immerger dans cette rivière cristalline, légère et profonde, dans une envoutante communion entre les mots, la musique des voix et des instruments.

Elodie Martinez

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading