Chronique d'album : Oratorio, de Blandine Staskiewicz et Thibault Noally

Xl_oratorio © DR

Au début du mois est sorti chez Aparté le nouvel album de Blandine Staskiewicz et des Accents, dirigés et accompagnés au violon par Thibault Noally. Intitulé Oratorio, l'album est comme son nom l’indique dédié à l’art de l’oratorio et réunit pas moins de dix-sept airs dont neuf inédits, gravés pour la première fois sur disque.

Si aujourd’hui certains oratorios sont mis en scène (notamment le Messie de Haendel mis en scène par Claus Güth et immortalisé en 2009 sur DVD à Vienne avant d’être repris, ou encore par Deborah Warner à Londres et Lyon pour ne citer que ces deux exemples), ces œuvres lyriques dramatiques ne sont pourtant à l’origine nullement destinées à cet exercice. Assez proches de la cantate ou de la liturgie et de l’opéra d’un point de vue formel, les oratorios comprennent généralement une ouverture, des récitatifs, des airs et, bien sûr, des chœurs.

Si leurs sujets sont majoritairement religieux, c’est avant tout dû à leur origine indissociable de l’ordre religieux des Oratoriens qui fut créé au XVIe siècle autour de saint Philippe Néri. Cet ordre connut un grand succès, notamment grâce à la place importante de la musique au sein de leur réunion. Une importance qui ne cesse de croître puisque, d'abord chantées de part et d'autre d'un sermon, les laudes sont ensuite unifiées en deux parties (devenant une véritable œuvre musicale). De plus, les compositeurs d’opéras ne pouvaient pas tirer l’argument de leurs œuvres d’un sujet sacré. Il a donc fallu trouver une manière d’aborder ce thème en créant une nouvelle forme spécifique attaché à l’opéra, sans pour autant en être pleinement. Le genre est alors assez ambigüe et frôle avec l’opéra, le madrigal ou encore le motet pour devenir une « musique religieuse, mais non liturgique, musique dramatique, mais non théâtrale, l'oratorio flotte entre les trois définitions, chères à la critique allemande, des genres lyrique, épique et dramatique. Ses frontières chevauchent sur celles du Motet, de la Passion, de la Cantate, et de l'Opéra » (ainsi que l’écrit la musicologue Marie Bobillier).

L’oratorio naît ainsi sous l’appellation « dramma per musica » en 1600 à Rome avec La Rappresentazione di Anima et di Corpo d’Emilio de Cavalieri puis se développe au fil du siècle. Vers 1640-1650, deux catégories se distinguent déjà : l'oratorio vulgare (en langue vernaculaire) et l'oratorio latino (en latin). Deux grands noms s’illustrent tout particulièrement à cette époque : Giacomo Carissimi, dont nous avons pu voir Jephtha à Paris en janvier dernier, et Luigi Rossi. La fin du siècle est pour sa part dominée par deux autres noms : Alessandro Scarlatti (présent sur cet album) et Alessandro Stradella. Toutefois, le genre ne se cantonne pas à l’Italie : Marc-Antoine Carpentier en France, où l’oratorio ne passionne pas beaucoup, Heinrich Schütz en Allemagne où, au contraire, l’oratorio va connaître de beaux jours comme le montrent les Passions de Bach, ou encore Haendel que nous avons déjà cité, en Angleterre.

Pour cet album Oratorio, Blandine Staskiewicz et Thibault Noally se retrouvent après plusieurs années de collaborations notamment autour de la recréation mondiale d’Il Trionfo della Divina Giutizia de Porpora en 2015, et se sont focalisés ici sur le genre en Italie avec Caldara, Bononcini, Gasparini, Porpora et Scarlatti. Difficile, voire impossible, à la simple écoute, de s’imaginer qu’il ne s’agit pas ici d’extraits d’opéras : l’intensité, l’écriture lyrique, l’accompagnement, la force d’expression des personnages…. Tout cela se retrouve et, sans voir l’absence de mise en scène, la parenté entre ces deux genres sautent aux oreilles.

La première piste qui ouvre ce recueil est l’un des neufs premiers enregistrements mondiaux : « Numi offesi di furor » de La Castita al Cimento de Caldara. Ce même compositeur clôture également l’album avec « Son gli strazi… Io spiro e volo » d’Il Matrimonio di Santa Caterina, dont la seconde partie est régie par un accompagnement extrêmement léger. Les bases de l’album sont donc posées en peu de temps par le premier air, entre l’excellence de l’accompagnement et sa parfaite adéquation avec la belle voix de poitrine, profonde et ample, de la mezzo-soprano. La voix particulièrement grave, même pour une mezzo, offre à ces figures qu’elle incarne au disque une belle ligne de chant et une interprétation pleine de grandeur. Ses ornements baroques viennent habiller ces extraits d’oratorios avec une précision de haute-couture. Le tout suspend parfois le temps, faisant vibrer le caractère sacré des œuvres représentées ici, mais aussi d’autre fois une certaine fureur, permettant à l’auditeur de ne pas s’ennuyer une seule seconde grâce à l’alternation des tempi et des intentions en fonction des airs joués. L’équilibre avec l’ensemble est savamment maîtrisé par Thibault Noally qui signe par ailleurs la courte introduction du livret dans lequel se trouve également un texte retraçant de manière relativement approfondie l’histoire de l’oratorio.

Un très bel album qui devrait ravir le plus grand nombre !

Elodie Martinez

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