Chronique d'album : Mer(s), de Marie-Nicole Lemieux

Xl_mers © DR

La mer fait partie de ces muses éternelles qui ont de tous temps inspiré les hommes. Nul besoin donc d’attendre Charles Trenet pour la mettre à l’honneur en musique, comme Marie-Nicole Lemieux nous l’avait déjà démontré à Bordeaux en octobre 2018 avec Sea Pictures d’Edward Elgar. Vendredi prochain, soit le 13 septembre, sortira dans la continuité son nouveau disque, Mer(s), chez Erato, où elle est accompagnée, comme pour son récital, de l’Orchestre National de Bordeaux sous la direction de Paul Daniel, mais aussi du chœur de la maison bordelaise.

Le titre annonce derechef la couleur : si l’on a l’habitude de parler de « la » mer, il en existe en réalité plusieurs, notamment sous la plume des compositeurs. Ainsi, « avec cette escapade maritime, Marie-Nicole Lemieux nous propose d’embarquer à ses côtés pour un périple haut en couleurs menant du romantisme fiévreux de Joncières à la modernité d’Elgar en passant par les expérimentations de Chausson, tous trois placés sous l’omnipotence d’un wagnérisme qu’ils admiraient avec ferveur » (d’après le livret). « Mer(s) », à la fois une et plusieurs, de même que plusieurs mélodies composent une œuvre unique, ou qu’une seule et même interprète peut offrir bien des visages différents…

Pour débuter ce voyage adapté du récital d'octobre dernier, nous retrouvons Sea Pictures et ses cinq mélodies. La première, Sea Slumber Song, nous invite au rêve avec son « good night » final et son caractère de berceuse dans lequel, déjà, la cantatrice déploie une belle palette de couleurs. Elle se montre aussi à l’aise dans les aigus que dans les notes graves dont on se délecte toujours, plongeantes à souhait tel le creux abyssal des vagues. Nous partons ensuite joyeusement pour In Haven, puis Sabbath Morning at Sea qui nous immerge dans un univers total où, bien au-delà de la musique et du chant, l’esprit se perd dans l’imaginaire et voit se déployer une histoire. Where Corals Lie nous porte plus loin encore, vers une contrée où les gouttes qui perlent dans la partition semblent teintées d’exotisme. Un délice que l’on savoure de la première à la dernière goutte avant que The Swimmer ne vienne terminer cette ère Elgar pour entrer dans celle de Chausson avec son Poème de l’amour et de la mer. Changement de compositeur, mais aussi de langue puisque nous passons au français, sans incidence sur le niveau d'excellence de la prononciation. Comme le rappelle le livret, cette pièce créée en 1893 propose une « fusion rare (…) entre cycle de mélodies orchestrées, cantate profane et monologue symphonique », le tout en deux parties séparées par un Interlude orchestral qui permet une parenthèse sur la superbe direction de Paul Daniel à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Là aussi, une multitude de nuances et de couleurs, bien que toujours teintées par le bleu de la mer, s’offre à nos oreilles, donnant presque une « troisième dimension » à cette musique, faisant vivre les vagues, l’air, les courants marins, et même jusqu’aux gouttelettes perceptibles ponctuellement. L’équilibre, y compris dans le déséquilibre des tempêtes, est une merveille et un trait fort appréciable qui permet de ne jamais oublier ni la voix, ni la musique.

Après les turpitudes de la troisième partie du Poème de l’amour et de la mer, nous embarquons pour la dernière étape de notre voyage : La Mer, de Victorin Joncières, composée en 1881 et qui fait ici l'objet d'un premier enregistrement mondial. Divisée en quatre parties versifiées par Edouard Guinand (Le Calme, Contemplation, La Tempête et l’Epilogue), l’œuvre confie à la soliste le rôle de l’Océan, « voix capiteuse de sirène qui séduit, attire et fait périr les humains en déchaînant la tempête ».  Le tout forme une ode-symphonie d’une quinzaine de minutes dans laquelle s’exprime également un chœur, ici celui de l’Opéra National de Bordeaux. Ainsi, la voix de Marie-Nicole Lemieux ne se fait entendre qu’environ à la moitié de l’œuvre, après une introduction symphonique et chorale en demi-teintes. La Tempête a pour sa part de quoi réveiller, la musique mimant les mouvements impétueux des flots de même que la voix qui monte et descend, des crêtes aux profondeurs, de même que ces vagues immenses que l’on imagine. Le Chœur tente alors de fuir vainement les éléments déchaînés avant de sombrer dans un tourbillon et que la voix de la mer ne revienne bercer les âmes coulées : « Dormez en paix, au sein des ondes. Tous vos maux sont finis : dormez à tout jamais ». Après la berceuse du départ nous souhaitant « good night », voici que l’ultime piste nous appelle elle aussi au sommeil, un « calme après la tempête » et les tumultes de ce voyage maritime… dans lequel on replongerait déjà avec délice !

Un disque dans lequel on s'immerge avec plaisir, guidé par la voix si reconnaissable de Marie-Nicole Lemieux, dans lequel les aléas météorologiques deviennent des plaisirs d’écoute et où, par la magie de la musique, l’horizon s’ouvre à nous. Ajoutons à cela un livret qui, sans force de détails, permet d’expliquer et de recontextualiser les trois pièces réunies, offrant ainsi une amarre solide à notre navire. Alors point de temps à perdre : hissons les voiles et laissons-nous bercer par cette mer à la fois une et plurielle…

Elodie Martinez

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