Chronique d'album : Issé, pastorale héroïque de Destouches

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Le 8 novembre dernier sortait chez Ambronay un enregistrement de la pastorale héroïque Issé, de Destouches. A la tête de l’ensemble Les Surprises, Louis-Noël Bestion de Camboulas redonne ainsi vie à la première œuvre du compositeur narrant « une fable lyrique dans laquelle des bergers de légende et des nymphes légères entretiennent avec les dieux de l’Olympe un commerce amoureux », sur un livret d’Antoine Houdar de La Motte inspiré du livre VI des Métamorphoses d’Ovide. Une résurrection rondement menée non seulement par l’excellence de l’interprétation musicale, mais également par celle des solistes.

Composé à l’origine d’un prologue et de trois actes, cette œuvre lyrique vit le jour en 1697 au Trianon de Versailles à l’occasion des noces princières du duc de Bourgogne. Cette même version est ensuite reprise à l’Opéra de Paris avant d’être remaniée en 1708 par ses auteurs en un prologue et cinq actes. C’est sous cette nouvelle forme que l’œuvre devient « l’un des plus francs succès du répertoire lyrique du XVIIIe siècle ». Pour autant, le présent disque s’appuie sur une version postérieure, celle de 1724, reposant sur une partition publiée chez Jean-Baptiste Christophe Ballard. Un choix judicieux et parfaitement expliqué dans le livret accompagnant l’enregistrement, qui rappelle également l’immense succès de l’œuvre en son temps, « tenant la scène pendant quatre à six mois » en 1733-1734, au point que Diderot la traitera comme l’égale de Tancrède ou des Indes galantes. Quant à l’histoire, il s’agit de celle d’Apollon qui, sous les traits du berger Philémon, poursuit la nymphe Issé, tandis que Pan s'intéresse de son côté à Doris : se forme ainsi une double intrigue amoureuse mêlant divinités et bergers, explorant les lieux communs de la tradition pastorale, entre amour volage et amour fidèle, indifférence ou danger d’aimer sincèrement, ainsi que stratagème du travestissement et scène de reconnaissance clôturant avec félicité cette pastorale avant que ne survienne le chœur final.

Le livret, d’une grande qualité, dépeint ainsi les amours des personnages, leurs réflexions et leurs tourments. La distribution réunie ici porte merveilleusement la partition : Mathias Vidal est un Apollon/berger Philémon de belle envergure, tout en douceur et non en puissance divine car c’est le trait qui est ici à développer. Le timbre solaire, la solidité de la ligne de chant, la richesse de ses nuances et sa palette de couleurs dressent un portrait touchant du dieu et nous attache à lui. L’exercice de l’enregistrement réussit fort bien à Judith van Wanroij : l’éventuel écart dans la projection avec les autres protagonistes se devine parfois plus qu’il ne se ressent, et l’on perçoit dans la voix les talents de tragédienne qui permettent de donner matière au personnage d’Issé. Thomas Dolié porte pour sa part haut Hylas, l’amant éconduit et tourmenté, dont la palette sombre de la voix exprime avec talent les méandres sentimentaux, tout en posant un caractère solide à la présence importante.

Le second couple du livret, Pan et Doris, est pour sa part incarné par Matthieu Lécroart et Chantal Santon-Jeffery. Le premier déploie un baryton profond tandis qu’il partage un caractère léger avec la seconde (la légèreté étant de mise avec ces deux personnages), offrant ainsi de doux moments parfaitement maîtrisés et agréables. Enfin, les rôles plus secondaires méritent eux aussi des éloges, qu’il s’agisse d’Eugénie Lefebvre (une Nymphe et une Dryade), d’Etienne Bazola (le Grand Prêtre) ou  de Stéphen Collardelle (un Berger, le Sommeil et l’Oracle). Soulignons également le fabuleux travail de Louis-Noël Bestion de Camboulas et de l'ensemble Les Surprises qui permet de faire entendre toute la richesse de ce tableau pastoral injustement oublié, ses atmosphères propres à chaque scène, ses nuances, ou encore ses belles couleurs, le tout dans une direction qui ne plie jamais, offrant une lecture nette et accessible.

Enfin, le livret accompagnant le disque propose un éclairage pertinent sur l’œuvre, en plus du texte en lui-même et des brèves biographies déjà évoquées, le tout dans un bel écrin pour les deux disques composant cet enregistrement. Encore une belle réussite pour le label Ambronay et une superbe redécouverte d’une œuvre que l’on se réjouit de voir renaître.

Elodie Martinez

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