Chronique d'album : Il Martirio di Santa Teodosia de Scarlatti, chez Aparté

Xl_martirio © DR

Le 26 juin dernier est sorti chez Aparté Il Martirio di Santa Teodosia de Scarlatti, enregistré par Les Accents sous la direction de Thibault Noally. Afin de rendre au mieux justice à cet oratorio du XVIIe siècle, le chef s’est entouré d’un solide équipe de solistes : Emmanuelle de Negri, Emiliano Gonzalez Toro, Anthea Pichanick et Renato Dolcini.

L’œuvre, malheureusement méconnue, relate la vie, l’amour et la mort de Sainte Théodosie de Tyr. Le drame de cette martyre nous emmène au IVe siècle, sous l’Empire romain. Théodosie est une chrétienne persécutée après avoir consacré sa vie – assez courte puisqu’elle n’est âgée que de 18 ans à sa mort en 308 – à Dieu et après avoir consolé des prisonniers probablement chrétiens. Sa vertu l’amène à repousser Arsène, fils du gouverneur Urbain, totalement épris de la jeune fille. Son serviteur Dèce plaide en la faveur de son maître et l’amène à espérer un changement d’avis alors même que Théodosie maintient son refus catégorique. Face à cette décision et à la souffrance que cela fait naître chez son fils, Urbain condamne à mort l’héroïne en argumentant : « Offenser un Roi/Ne mérite aucune pitié./Cela s’appelle un crime ». Arsène demande qu’on l’épargne, mais elle préfère mourir. Dèce est finalement « frappé par la vertu de Théodosie, qui, blessée à mort, offre son âme au ciel ». Selon l’histoire, le martyr de cette sainte est en réalité plus atroce : elle subit de nombreuses tortures, fut jetée en mer, livrée aux fauves... Mais en sortit indemne, avant de mourir décapitée.

Selon le livret, « les péripéties de cette martyre n’ont connu aucune diffusion, et on ne connaît aucun oratorio relatant son histoire, à part celui de Scarlatti ». L’œuvre mêle ainsi ici inspiration biblique, et texte allégorique permettant une discussion théologique et morale. La structure musicale est travaillée méticuleusement par le compositeur, avec une certaine régularité dans l’alternance récitatif-aria. Celui-ci privilégie fortement l’héroïne en lui offrant pas moins de neuf arias sur les dix-huit de l’œuvre, alors qu’Arsène n’en chante que quatre, Urbain trois, et Dèce deux.

Il fallait donc une interprète à la hauteur de Théodosie, et c’est vers Emmanuelle de Negri que Thibault Noally s’est tourné. Celle-ci offre son soprano clair et lumineux, avec une détermination qui se ressent particulièrement dans l’air « Son costante e amante ». Les trilles s’enchaînent, les attaques sont franches, appuyant d’autant plus le caractère du personnage que l’on imagine aisément, même sans appui visuel. A côté de cela, la soprano fait entendre une douceur qui tire vers le spirituel dans ses adresses au Ciel, comme pour « Si el Cielo m’invita », faisant passer de la terre, avec un ancrage vocal fort, au céleste, avec une légèreté et un sentiment aérien apaisant. Difficile de ne pas succomber à son ultime air, « Spiri beati », qui porte si bien son nom.

Le jeune homme amoureux est interprété par Emiliano Gonzalez Toro, prêtant son timbre ambré et ses doux élans au personnage, virevoltant d’amour, empreint de douceur dans « Se vuoi crudel tu puoi », ou encore accablé par son amour. Ce trait se voit par exemple lors de son bref duo avec son père, Urbain, incarné par Renato Dolcini. La fureur de celui-ci dans « Gia d’ira m’accendeo » se ressent particulièrement dans la musique, et pourrait peut-être être davantage appuyée dans le chant, même si le baryton fait son effet. Elle évolue finalement pour arriver, dans « L’offendere un Rege », à une colère plus implacable, constante, de même que l’est son amour pour son fils. Enfin, dernier protagoniste, Anthea Pichanick est un Dèce des plus convaincants, avec une voix assurée et une projection parfaitement claire et agréable.

Difficile enfin de passer à côté de la direction de Thibault Noally qui, à la tête des Accents, fait renaître cette partition ainsi que toute sa force dramatique mais aussi ses accents spirituels. L’équilibre des pupitres permet un accompagnement des solistes qui les porte sans jamais les submerger. Le tout est accompagné d’un livret trilingue qui situe l’œuvre tout en expliquant sa construction, permettant ainsi de l’apprécier pleinement. D’autant plus que le livret est ponctué par la numérotation des pistes, offrant une parfaite lisibilité.

Une belle découverte qui permet de réunir baroque et oratorio, drame et religieux, servie par une distribution qui remplit pleinement son rôle.

Elodie Martinez

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