Chronique d'album : "Giulio Cesare, a baroque hero" de Raffaele Pe

Xl_pe_album © DR

Vendredi paraîtra chez Glossa l’album du contre-ténor italien Raffaele Pe, Giulio Cesare, a baroque hero qui, comme son nom l’indique, est entièrement consacré au personnage de Jules César. Nous avons eu l'opportunité de demander au principal intéressé pourquoi son choix s’était porté sur cette figure historique. Voici ce qu’il nous a confié :

« Jules César est un personnage historique très enthousiasmant. Mon affection pour son récit lyrique remonte à mes premières rencontres avec l'opéra baroque alors que j'étais encore à l'école et que j'ai entendu pour la première fois l'interprétation musicale de l'histoire de ce héros par Händel. Etonnamment, le protagoniste n'était pas un ténor ou un baryton, mais un contre-ténor, une voix d'une expressivité inattendue.
J'ai alors commencé mes recherches vocales concernant le registre des contre-ténors et les possibilités chromatiques et émotionnelles liées à ce type de voix.
Ces dernières années, j'ai approfondi mon intérêt pour la musique baroque inédite de nos glorieuses archives italiennes. Grâce à l'aide de quelques amis musicologues, j'ai pu collecter ces deux dernières années la plupart des partitions restantes relatives au livret sur Jules César à cette période.
Et quelle découverte!
César est aujourd'hui reconnu pour son pouvoir, sa force et son efficacité politique. Ce n’était apparemment pas le cas dans la rhétorique baroque, où une multitude de sentiments mitigés sont présentés dans l’âme de César : il est également décrit comme un amoureux, un traître, une figure hésitante dont le charme réside davantage dans sa nature humaine que dans sa façade divine.
Les possibilités vocales offertes à ce rôle par les différents éminents compositeurs qui ont créé un opéra d’après cette histoire sont extraordinaires, encore plus intéressantes que celles écrites par Haendel pour son premier interprète, le castrat italien Senesino. César a été chanté par certains des plus illustres chanteurs de l'époque, comme Carestini, Aprile, ou Pacchiarotti, pour n'en nommer que quelques-uns. L'étonnante amplitude de leur gamme vocale et l'incroyable quantité de coloraturas incluses dans leurs arias ne peuvent être interprétées que par de vrais virtuoses. Quelque chose de très attirant, je crois, pour les chanteurs contemporains.»
(réponse originellement en anglais*)

L’amour et l’admiration éprouvés par Raffaele Pe se retrouvent clairement dans ce disque qui débute par « Va tacito e nascosto » extrait de Giulio Cesare in Egitto de Händel, opéra que l’on retrouvera encore à deux autres occasions. Un premier air assez logique puisque c’est semble-t-il par cette œuvre que le contre-ténor a découvert tout l’univers qu’il nous livre ici comme un véritable cadeau. Nous entendrons par ailleurs plus loin « Al lampo dell’armi » et « Son nata a lagrimar » en duo avec la mezzo-soprano Raffaella Lupinacci dont la voix se marie merveilleusement à celle du contre-ténor. Un second Giulio Cesare in Egitto est également présent : celui de Carlo Francesco Pollarolo datant de 1713 dont les extraits enregistrés sont absolument inédits. Pourtant, son « Non temer ! » est certainement l’un des plus beaux moments du disque, offrant un doux legato qui est ici comme une caresse bienveillante sur la joue et emporte l’auditeur dans le bercement de la voix et de la musique. Une véritable merveille interprétée dans une belle retenue qui sied à la partition, rappelant les mots du livret qui explique présenter ici un personnage « capable non seulement de gestes héroïques mais encore de douceur, d’ivresse amoureuse, de fragilité physique et émotive ».

Toutefois, il ne s’agit pas d’un enregistrement monotone mais bel et bien en adéquation avec le caractère baroque : nous entendons donc mêler à ces moments de douceurs des moments plus dynamiques et énergiques extraits d’œuvres pour la plupart méconnues. Outre Pollarolo, Raffaele Pe nous présente également La morte di Cesare de Francesco Bianchi, dont l’un des extraits, « Rasserena i mesti rai », clôt le disque, ou encore les Cesare in Egitto de Geminiano Giacomelli et Niccolo Piccinni, tout aussi rares et pourtant servant cet enregistrement qui montre une évolution compositionnelle de Jules César à l’époque baroque. Les choix opérés par Raffaele Pe offrent ainsi un portrait riche et en relief d’un personnage dont tout le monde connaît le nom, ici sous un prisme baroque parfaitement servi par un enchaînement non chronologique mais compositionnel ainsi que par la voix du contre-ténor dont la diction est excellente et la ligne de chant claire. L’émotion parvient à traverser l’objet du disque pour se retrouver à l’écoute, une écoute des plus agréables grâce aussi à l’accompagnement de La Lira di Orfeo dirigée par Luca Giardini qui, tel le musicien dont l’ensemble tire son nom, nous enchante et nous emporte de la première à la dernière note. L’équilibre global, tant parmi les instruments qu’avec le soliste, est un délice à l’écoute, donnant à chaque partition toutes ses dimensions, comme dans l’ultime piste servie en bonus, tel un rappel à la fin d’un récital, présentant un grand classique : « Scherza infida » d’Ariodante de Händel. N'oublions pas enfin le livret accompagnant le disque rédigé par l'artiste, permettant d'apprendre davantage sur les oeuvres choisies et d'avoir les paroles (en italien et en anglais) des différents airs enregistrés. A ceci s'ajoutent quelques photos de la jaquette qui mêlent de manière ludique statuts de Jules César et images du chanteur.

Un très bel album que tout amateur du baroque appréciera, de même que ceux curieux de découvrir de nouveaux airs ou qui aiment la voix de contre-ténor ou simplement la musique sans clivage particulier puisque, malgré le registre baroque, l’ensemble reste accessible au plus grand nombre.

Elodie Martinez

*"Giulio Cesare is a very exciting historical character. My affection to his operatic narration goes back to my first encouters with baroque opera when I was still at school and I heard for the first time Handel's musical rendition of the story of this hero. Surprisingly the protagonist was not a tenor or baritone but a countertenor, a voice of unexpected expressivity.
Here I started my vocal research on the countertenor register and the chromatic and emotional possibilities related to this voice type. 
In recent years I deepened my attention to unedited baroque music from our glorious Italian archives and thanks to the help of a few friends musicologists I could collect in the last two years most of the surviving scores related to the libretto of Giulio Cesare from that period.
And what a discovery!
Cesare is known nowadays for his power and strength and for his politic effectiveness. Apparently this was not the case for the baroque rethoric, where a multitude of mixed feelings are presented in the soul of Cesare. He is depicted also as a lover, a traitor, an hesitant figure whose charm resides more in his human nature than in his godlike facade.
Also the vocal possibilities offered to this role by the different eminent composers who created an opera after this story are extraordinary, even more interesting than the ones written by Handel for his first interpreter, the Italian castrato Senesino. Cesare was sung by some of the most illustrious singers of the time, Carestini, Aprile, Pacchiarotti, to name a few. The astonishing amplitude of their vocal range and the incredible amount of coloraturas included in their arias can only be performed by real virtuosi. Something very engaging, I believe, for contemporary singers."

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