Chronique d'album : Farinelli, de Cecilia Bartoli

Xl_farinelli © DR

Demain paraîtra le nouveau disque de Cecilia Bartoli chez Decca Classics, Farinelli, consacré comme son nom l’indique au célèbre castrat italien. De son vrai nom Carlo Maria Michele Angelo Broschi, il fut un véritable phénomène adulé, y compris dans les cours royales, notamment grâce à l’ambitus exceptionnel de sa voix couvrant trois octaves. Difficile ici de ne pas songer également à l’enregistrement de Sacrificium il y a dix ans maintenant, dans lequel la mezzo-soprano dénonçait le sort des jeunes garçons soumis à la douloureuse et dangereuse castration de l’époque.

Dès la découverte de la pochette, ce nouveau disque a déjà fait couler beaucoup d’encre. En effet, la cantatrice y apparaît nue et barbue, jouant avec la question du genre et l’ambivalence entre masculin et féminin à l’opéra. Après tout, n’y voit-on pas des femmes jouant des hommes tandis que les contre-ténors et castrats interprèt(ai)ent des femmes ? Difficile également de ne pas songer à son Ariodante à Salzbourg en 2017 où elle arborait déjà la barbe. Décidément, Cecilia Bartoli n’a peur d’aucun travestissement (comme pour son disque Mission où elle apparaissait chauve), démontrant son engagement total envers l’art qu’elle sert.

Un engagement qui se retrouve bien entendu dans la voix et cet enregistrement dans lequel elle excelle. Les premières notes nous emportent dans un tourbillon festif avec « Nell’attendere moi bene » du Polifemo de Porpora (redécouvert en juin dernier au Festival de Pentecôte de Salzbourg dont Cecilia Bartoli assure la direction artistique). L’énergie de la cantatrice est contagieuse et l’on ne se fait pas prier pour la suivre dans cette aventure discographique où le compositeur est tout de même assez présent : pas moins de cinq titres sur les onze proposés sont de sa plumes, ce qui n’a rien de très étonnant quand on se rappelle que Farinelli fut l’un de ses élèves. Il ouvre donc le disque, mais le clôt également par « Alto Giove », qui laisse un goût de doux adieu pour de futures retrouvaille, mais aussi un goût d’éternité et de paisibilité. Toutefois, bien que le compositeur italien soit un habitué des enregistrements, l’un des airs proposés est une première mondiale au disque : « Lontan… Lusingato dalla speme » (aussi extrait de Polifemo). Le disque propose une autre première mondiale, signée cette fois Broschi et issue de La Merope, « Si, traditor tu sei ». La mezzo-soprano met toute sa fougue dans cet air de bravoure Ce même opéra, qui vit le jour au Teatro Regio Ducale de Turin lors du carnaval de 1732, est également présent avec « Chi non sente al moi dolore » un peu plus tôt..

Outre Porpora et Broschi, Johann Adolph Hasse est également de la partie avec Marc’Antonio e Cleopatra et les airs « Morte col fiero aspetto » et « Signor la tua Speranza… A Dio trono, impero a Dio » qui offrent des regains d’énergie entre des moments plus calmes, ce qui permet d’offrir à l'ensemble un rythme travaillé qui ne lasse pas l’auditeur. Enfin, Giacomelli et Caldara sont eux aussi présents, le premier avec un déchirant « Mancare o Dio me sento », le second avec un « Questi al cor finora ignoti » inspiré et inspirant.

Comme on pouvait s’en douter, Cecilia Bartoli rend ici un bel hommage aux castrats et sublime l’ensemble des airs enregistrés par des aigus légers et aériens ainsi que des mediums ambrés et des graves profonds. La ligne de chant est toujours solide et la technique impeccable, laissant entendre une signature vocale qui n’appartient qu’à elle, rendant cette artiste reconnaissable entre mille à sa simple écoute. Elle est de plus aidée par l'ensemble Il Giardino Armonico dirigé par Giovanni Antonini qui rend à la musique de cette époque toutes ses couleurs et son carcatère.

Au final, le disque s’avère être une réussite bien pensée, dans la lignée des précédents enregistrements de la cantatrice qui poursuit donc son histoire avec celle des castrats… Les parisiens pourront d'ailleurs l'entendre lors de son récital à la Philharmonie le 15 décembre prochain.

Elodie Martinez

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