
Ce vendredi 20 juin, l’Opéra du Capitole de Toulouse donnait la Première de sa nouvelle production d’Adrienne Lecouvreur, dans une mise en scène signée par Ivan Stefanutti. De quoi fêter dignement la musique dans toute sa splendeur !
La scénographie joue beaucoup sur la dualité du blanc et du noir, sur une pénombre quasi omniprésente, atteignant son paroxysme lorsqu’Adrianna éteint les lumières pour créer la pénombre du livret lors de sa scène avec la princesse. Cette dualité symbolique de l’opposition, bien que loin d’être originale, n’en demeure pas moins efficace. Toutefois, si cela confère une esthétique léchée à l'ensemble, l'œil finit par se lasser : passée la découverte de chaque nouveau décor aux levers de rideau, le regard fait vite le tour des lieux et ne trouve que peu de choses auxquelles s’accrocher. Seule touche de couleurs, fort bien amenée : le tableau lors de la scène finale, qui se colore comme une ouverture sur un âge nouveau.
Adrienne Lecouvreur, Opéra du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
On entend bien la note d'intention du metteur en scène : « la figure de Borelli m'a fait entrevoir une piste intéressante : situer l'opéra à l'époque où le théâtre et le cinéma naissant respiraient le même air et partageaient les mêmes émotions. Un monde encore en noir et blanc, fait de contrastes saisissants. Le livret lui-même me suggérait l'atmosphère de ces années-là, teintée de décadentisme, qui permettait de vivre tous les tourments de l'amour et de la jalousie avec une intensité extrême ». Toutefois, on reste sur notre faim. Situer l'œuvre à la Belle Epoque, ajouter une touche cinématographique à l'ensemble, opter pour le noir et blanc loin de la facilité de la couleur... Tout cela est plaisant, fidèle, orné d’Art Nouveau, mais la lecture demeure au final (trop) convenue.
L'acte I laissait pourtant présager le meilleur, avec ces mouvements, l'occupation de l'espace, cette apparition d’Adrienne sur son fauteuil pivotant, la vision de la scène depuis les coulisses, le jeu entre ces deux lieux... Las, l'espace scénique parait grand et au final, la proposition ne tient pas la longueur de la soirée ; d’autant plus que la direction d'acteurs – elle aussi convenue – pourrait pour sa part être plus aiguisée, plus ciselée. Peut-être aussi que le remplacement de José Cura par Vincenzo Costanzo en dernière minute n'est pas étranger à cela.
On ne saurait blâmer ici le jeune ténor italien : appelé en renfort, il n'est arrivé que la veille et a répété toute la journée afin de pouvoir se produire sur scène vendredi soir. Ainsi, contrairement à ce que l'on a coutume de voir lors de situations similaires, Vincenzo Costanzo ne s'est pas contenté de chanter en coulisses pendant que José Cura se chargeait d'occuper son rôle sur scène. Cela mérite d'être relevé, d'autant plus que le ténor s'en sort avec les honneurs : après un premier acte quelque peu figé, il semble se libérer davantage pour un jeu plus naturel. Vocalement, il déploie une palette vive, colorée, puissante et souple.
Lianna Haroutounian (Adriana), Adrienne Lecouvreur, Opéra du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
Dans le rôle-titre, Lianna Haroutounian s'investit de bout en bout. Le paroxysme demeure la mort de l'héroine, particulièrement habitée. Son trouble est visible lorsqu'elle salue seule, au baisser de rideau, acclamée par un public conquis. La ligne de chant ne souffre d'aucune faiblesse, et l'on se prend à respirer selon son rythme face au tel déploiement de l’expression profonde et légère.
En rivale à sa hauteur, Judit Kutasi prête sa voix soyeuse à la Princesse de Bouillon. Les graves s’élèvent pour mieux se planter, les aigues cisaillent, la jalousie s’exprime sans caricature, avec la force et la douceur d’un poison inébranlable. La noblesse du personnage se fige dans le port ou la tenue, mais la femme blessée fait fi de sa condition pour mieux nous sauter au visage.
Judit Kutasi (Princesse de Bouillon), Adrienne Lecouvreur, Opéra du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
Le Michonnet de Nicola Alaimo remporte les suffrages avec son émission somptueuse, noble, chatoyante, dans une interprétation touchante et juste. Roberto Scandiuzzi est un Prince de Bouillon solide, charmant, royal. La ligne est claire, ancrée dans une prosodie enviable et maîtrisée. Il est toujours suivi par l’Abbé de Chazeuil de Pierre Derhet, véritable courtisan tout à sa servitude, souhaitant briller dans les grâces de son souverain. Le chanteur tire le trait, donnant du relief à ce personnage dont l’envie de plaire est finalement un choix calculé.
Cristina Giannelli et Marie-Ange Todorovitch sont des demoiselles Jouvenot et Dangeville délicieuses. Damien Bigourdan (Poisson), Yuri Kissin (Quinault), et Hun Kim (Le Majordome) complètent avec talent cette distribution remarquable.
Pierre Derhet (Abbé de Chazeuil) et Roberto Scandiuzzi (Prince de Bouillon), Adrienne Lecouvreur, Opéra du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
En fosse, Giampaolo Bisanti offre à l’oreille les mouvements qui manquent à l’œil. A la tête de l'Orchestre national du Capitole, il déploie le vérisme sans faire couler de larmoiement outrancier, jouant avec le tragique que recèle la partition. Sa baguette devient le pinceau sous lequel les couleurs multiples de l’œuvre se révèlent. Pour parfaire le tout, peut-être qu’une légère retenue supplémentaire lors de passages plus doux vocalement serait la bienvenue afin de laisser briller davantage encore ces voix exceptionnelles.
En fin de compte, cette nouvelle production d’Adriana Lecouvreur est un indéniable plaisir musical et vocal qui se déploie dans une mise en scène un peu trop sage, dont l’esthétique demeure intéressante et agréable. Une fin de saison sans véritable fausse note !
Elodie Martinez
(Toulouse, le 20 juin 2025)
Adrienne Lecouvreur à l'Opéra national du Capitole de Toulouse jusqu'au 29 juin 2025.
24 juin 2025 | Imprimer
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