Xerxès, les yeux fermés

Xl_xerxes © DR

Il est vrai que dans le catalogue haendélien Serse fait figure d’exception. S’il respecte les codes de l’opera seria avec ce qu’il faut d’intrigues politiques, de conquête du pouvoir et de rivalités amoureuses, le maestro choisit d’introduire des notes humoristiques purement héritées de l’opéra bouffe. Mais si les quelques passages drolatiques – tel que l’irrésistible travestissement en marchande de fleurs du valet Elviro au début du IIe acte – constituent l’originalité de l’œuvre, n’en restent pas moins une grande tension dramatique et de déchirants lamenti pour nous rappeler que ce qui se trame ici, comme dans presque tout l’opéra baroque, c’est bien le drame de la jalousie ; et lorsque les passions se déchainent il n’est plus question de rire !

Dans cette production créée à Stockholm et reprise à Versailles, le metteur en scène Lars Rudolfsson tient visiblement à ne retenir que la farce. Au point d’en sacrifier les moments les plus émouvants de l’opéra. Passons sur les projections de fond de scène sans intérêt, les costumes sans époque (et surtout sans beauté !) et le fait que ce Serse ressemble ici plus à un vagabond bravache qu’à un roi de Perse ; les chanteurs sont entraînés à la caricature par une direction d’acteurs qui frise le ridicule. Bonds incessants, grimaces déformant les visages et intentions proches du mime, les personnages sont réduits à des clowns au service d’un comique visuel des plus douteux.

Pourtant la musique, quant à elle, ne manque pas de majesté et l’on retrouve heureusement un Ensemble Matheus des bons jours, parfaitement à l’aise dans ce répertoire. Certes, Jean-Christophe Spinosi souligne beaucoup les nuances, rajoute des petits commentaires musicaux – ici du basson, là du violon – et couve parfois d’un œil trop bienveillant les fausses notes des musiciens (provenant surtout des vents ce soir de première !), mais il instaure comme toujours une atmosphère de grande complicité  avec la fosse et le plateau, pour le plus grand bien de la partition.

Et ce sont les chanteurs qui s’en trouvent valorisés : l’Arsamene du contre-ténor David DQ Lee compense un manque d’aisance dans les vocalises par une intelligente musicalité, la soprano Hanna Husahr parvient à séduire grâce à son grain délicat et ce, malgré un manque de projection flagrant, quant à Kerstin Avemo, elle campe une Atalanta piquante qui parvient à faire oublier des aigus peu gracieux par un tempérament pétillant.
Les autres rôles sont moins bien servis, mais tous sont forcément bien ternes à côté de celle qui éclipse le reste du plateau, tant par sa présence que par sa voix : la mezzo-soprano Malena Ernman. Comme pour chacun de ses rôles, la chanteuse – ici dans le personnage de Serse – privilégie l’interprétation à la démonstration, mais la voix reste toujours superbe. Les graves, même exagérés, sont nourris et sonores, les aigus puissants et justes, et presque comme une marque de fabrique les mediums sont timbrés à l’extrême sans jamais craquer. Habituée des rôles travestis, la Suédoise – qui fait presque oublier qu’elle est une femme ! – fait de chacun de ses airs un moment de bravoure (notamment un mémorable « Se bramate d'amar chi vi sdegna » au IIe acte).

N’était la nécessité de fermer les yeux pour entendre la beauté de la musique sans être agacé par les gesticulations du plateau, ce Xerxès serait presque mémorable… Une version de concert peut-être ?

Albina Belabiod

Xerxès de G.F. Haendel jusqu’au 7 juin à l’Opéra de Versailles

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