Tosca de Puccini, à l’Opéra d’Avignon (mai 2012)

Xl_uria-monzon © BR

L’événement de cette série de représentation avignonnaise est  bien sûr la prise de rôle très attendue de Béatrice Uria Monzon dans le rôle de la diva romaine. Car la grande Carmen de notre époque, après sa poignante Santuzza de Cavalleria Rusticana à Orange, après sa Chimène du Cid à Marseille, évolue de plus en plus vers les grands rôles de soprano dramatique.
Ce qui lui permet cet élargissement de son répertoire est la maitrise totale de sa palette vocale : car, même si les aigus de Tosca, les si, les ut, ne sont pas à négliger, elle peut les négocier sans effort en les colorant largement grâce à l’assise de son médium et de son bas médium, ce qui confère à ses aigus une richesse, une sensualité, un fruité qu’on n’entend guère chez les Tosca qui sont de purs sopranos. Autant dire que cette Tosca est pour Béatrice Uria Monzon une pleine réussite. D’emblée, dès les fameux « Mario ! Mario ! » chantés en coulisses, on entend la matière ample de la voix prendre possession du personnage. Et son entrée confirme cette présence tout autant vocale que scénique. Habillée d’une robe superbe (bravo à Gérard Audier !), la jeune Floria Tosca est vraiment cette jeune femme qui vient retrouver son amant : elle a cette fraicheur, cette juvénilité qui se voit et qui s’entend – avec toute une série de gestes subtils, de finesses de mise en scène, de compréhension intérieure du rôle : ainsi, avant de quitter Mario pour le laisser à son travail de peintre, ce n’est pas en tigresse jalouse qu’elle lui demande de « faire des yeux noirs » au portrait de la Madone qu’il est en train de peindre mais, comme un léger caprice de femme-enfant, avec une sorte de moue tendre à laquelle bien sûr Mario ne peut résister. Mais si la beauté de la voix et l’intelligence scénique imposent cette Tosca au premier acte, on sait que c’est le deuxième acte qui constitue le cœur névralgique de l’opéra de Puccini. Dans sa somptueuse robe de diva sortant de scène (qui rappelle la robe dessinée par Franco Zeffirelli pour Maria Callas !...), Béatrice Uria Monzon a fort à faire face au terrible Scarpia qui joue perversement avec elle, qui la terrifie et la répugne. C’est là que la voix et le tempérament dramatique doivent se conjuguer sans se contrarier : il faut une maitrise technique absolue pour inscrire le chant dans ce rythme sans cesse variable, contrasté, cette ligne chahutée, tout comme il faut une maitrise mentale absolue pour faire passer dans chaque mot projeté, chaque geste, chaque silence cette tension extrême à l’œuvre dans le personnage. Et là encore, Béatrice Uria Monzon est admirable de bout en bout, ne lâchant rien, ne se laissant jamais déborder par la violence qu’elle sait incarner, osant des effets scéniques subtils (comme ce moment où elle se saisit du couteau… puis le repose… avant de s’en ressaisir : tout le conflit intérieur de la jeune femme est là résumé) – tout cela avec une assurance vocale constante, une puissance de relance, des aigus toujours pleins, colorés. Et la prière, le fameux Vissi d’arte, la montre dans sa beauté épurée, dans la plénitude d’une voix et d’un personnage de femme complètement habité.
Le troisième acte, pour être moins lourd, n’en comporte pas moins la nécessité d’être jusqu’au bout dans l’exigence vocale et scénique qui ne permet aucun repos : Béatrice Uria Monzon porte sa Tosca au plus haut, jusqu’à ces « Mario ! Mario ! » déchirants, qui font écho à ceux du début mais sont cette fois des cris de désespoir quand la jeune femme découvre son amant mort.

Si c’est bien sûr pour Béatrice Uria Monzon qu’on court à Avignon afin de voir et entendre cette Tosca, on se doit de souligner l’excellence de la distribution, avec un ténor italo-américain, Riccardo Massi, Mario à la voix chaude, riche de matière, et au chant stylé (mais hélas à la présence scénique inexistante), avec le baryton coréen Seng Youn Ko, découvert à Orange, à la noirceur idéale pour Scarpia, avec un très bon sacristain, Lionel Peintre et une charmante bergère, Loreline Mione, l’ensemble sous la direction très ardente, très étoffée, sans être jamais débordante d’Alain Guingal. Nadine Duffaut, après la réussite de sa belle Tosca à Orange propose une vision classique de l’œuvre, avec des constantes qui reviennent, la présence obsessive du portrait de la Madone tout au long des trois actes, qui inscrit le poids de la religion, le dessin gestuel des personnages, avec des détails qui portent (tel, au premier acte, le sbire de Scarpia piétinant les fleurs blanches déposées par Tosca devant la statue de la Vierge, ou la belle théâtralité de la mort de Scarpia, tombant la tête en arrière sur l’escalier, face… au portrait de la Madone).

C’est une belle représentation et c’est surtout la naissance d’une grande Tosca : grâce doit en être rendue à Raymond Duffaut qui a osé donner ce rôle à Béatrice Uria Monzon et lui permettre de franchir une nouvelle marche de sa carrière déjà brillante. Il ne lui reste plus qu’à l’inviter une nouvelle fois à Orange… en Tosca !

Alain Duault  

Tosca à l'Opéra Théâtre d’Avignon
Jusqu’au 31 mai 2012

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