Otello de Rossini, à l’Opéra de Zürich (mars 2012)

Xl_otelo © Opera de Zurich

Beaucoup moins connu que son homonyme verdien (qui l’a fait injustement oublier), l’Otello de Rossini est pourtant un de ses opéras seria les plus achevés – bien qu’il date de 1816 : Rossini a 24 ans, il vient de composer son Barbier de Séville et s’apprête à se lancer dans La Cenerentola. Si l’intrigue suit d’assez loin la trame de la pièce de Shakespeare, c’est avant tout la musique qui fait le prix de l’ouvrage et a suscité l’intérêt des lyricomanes de l’Europe entière qui se sont précipités à l’Opéra de Zürich pour l’entendre.
À dire vrai, la personnalité de l’interprète de Desdémone y a assurément contribué puisqu’il s’agit de Cecilia Bartoli dont on sait rares et même exceptionnelles les apparitions à la scène pour une représentation d’opéra. Mais c’est l’ensemble du spectacle qui séduit et justifie l’ovation reçue par les artistes.

D’abord la mise en scène du couple français Patrice Caurier et Moshe Leiser est exemplaire, déplaçant l’action à l’époque contemporaine sans jamais forcer le trait. Dans un très efficace décor de Christian Fenouillat, de l’intérieur des Procuraties de Venise où siègent les instances politiques et administratives, au mess un peu glauque d’une garnison censée être celle de l’Arsenal, Patrice Caurier et Moshe Leiser offrent au drame une lisibilité parfaite, menée par une direction d’acteurs très précise, servie, il faut le dire, par des chanteurs totalement engagés dans cette action théâtrale avec une aisance qui rend tout évident, aussi bien les luttes intestines pour le pouvoir que le racisme qui vient étendre son ombre mortifère.
Dirigé avec tact mais aussi beaucoup de caractère par le jeune chef chinois Muhai Tang, l’Orchestre La Scintilla (en dépit d’un cor naturel fâché avec la justesse) donne toute sa finesse, son rayonnement, sa dynamique à la musique de Rossini. 

Mais ce sont bien évidemment les voix, le feu d’artifice vocal, qui font le prix de cette redécouverte. D’abord parce que cet Otello exige trois ténors de première force pour tenir les rôles d’Otello, Iago et Rodrigo. Le mexicain Javier Camarena y brille tout particulièrement en Rodrigo, le malheureux amoureux de Desdémone, mais l’uruguayen Edgardo Rocha ne démérite pas en Iago et surtout l’américain John Osborne, un peu en retrait au premier acte mais formidable aux deuxième et troisième, est un Otello exaltant, avec des aigus flamboyants (dont un contre-ré lancé comme une fusée !) et un engagement total dans le rôle.
Mais ces trois ténors sont comme trois insectes fascinés par la lumière qui émane de la Desdémone de Cecilia Bartoli. Car la diva, qu’on connait pour ses étourdissants récitals où les vocalises à profusion électrisent un public à genoux, se montre aussi une interprète profonde, ardente, rayonnante. Un peu corsetée au premier acte, elle s’affirme ensuite une comédienne émouvante en même temps que la chanteuse raffinée qu’on connait, dont l’art de la demi-teinte expressive culmine avec une « Chanson du saule » au dernier acte, à pleurer de beauté pure.

Admirable spectacle qui fait honneur à l’Opéra de Zürich, cet Otello de Rossini a été filmé : attendons donc le dvd ou la diffusion en salle de cinéma (le réseau UGC s’y intéresse en France pour sa série Viva l’opéra !) pour découvrir (ou retrouver) cet embrasement vocal dans une vraie logique de théâtre. Car c’est assurément un des grands moments de la saison lyrique en Europe.

Alain Duault

Otello ou le Maure de Venise, Opéra de Zürich
6 mars 2012

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading