Lohengrin à Vienne, la grande classe !

Xl_lohengrin_wien-staatsoper_schager © DR

Le premier choc, c’est de la fosse qu’il vient : un orchestre qui passe de l’absolue transparence à la lave volcanique, des contrastes de couleurs à faire chavirer, un emportement sonore qui sait aussi saisir l’instant soudain ! Sous la baguette ardente de l’australienne Simone Young, les forces vives de cette grande maison qu’est l’Opéra de Vienne semblent exaltées, l’orchestre bien sûr (dont chacun sait qu’il est issu du fameux Philharmonique de Vienne) mais aussi les chœurs, impressionnants tout autant de densité (le final du 1er acte) que de souplesse, de légèreté même. Et la distribution en est dynamisée.


Elza van Den Heever (c) Staatsoper Wien

C’est pour découvrir le premier Lohengrin de ce nouveau météore des scènes wagnériennes, Andreas Schager, qu’on est venu : on n’est pas déçu ! Le ténor autrichien dont les vrais débuts datent de 2009 s’est révélé ces dernières années comme un des meilleurs au monde : il a tout, une voix insolente de santé avec une projection comme on n’en connait peu, des attaques franches, un impact renversant, un souffle interminable, des aigus sonores qui semblent se déployer sans aucun effort et transpercent le tissu compact de l’orchestre et des chœurs. Avec cela quelque chose de lumineux qui émane de lui, un vrai rayonnement qui fait qu’il capte toute l’attention et aspire à lui le regard et l’écoute comme une sorte d’ouragan ravageur. On en sort estomaqué, impressionné, conquis. Avec le sentiment qu’on retrouve un âge d’or du chant wagnérien dont seuls les disques nous donnaient une idée. Parfois, on a l’impression d’entendre – transposé dans l’univers de Wagner – la jeunesse irradiante du jeune Alagna. C’est saisissant !

Pas facile d’exister face à une telle tornade ! C’est pourtant ce à quoi parvient la sidérante Elsa de la soprano sud-africaine Elza van den Heever : son timbre d’une rare beauté, comme un tissu moiré dont les reflets emplissent l’espace, sa ligne de chant admirable de conduite, sa longueur de souffle ahurissante, l’infinie richesse d’une palette de couleurs inépuisable, sa présence palpitante (qui évoque Anja Harteros) – avec une plénitude de tous les instants, aussi bien dans le jeu, engagé quand il le faut, subtilement dessiné à d’autres moments, tout en finesse et en naturel, que dans ce chant admirable d’intelligence et de musicalité. Avec ces deux artistes rayonnants, avec la fosse en fusion et les chœurs en tempête, on sait qu’on vit une soirée exceptionnelle ! 


Petra Lang (c) Wienner Staatsoper

Bien sûr, face à deux présences qui s’imposent aussi intensément, les autres artistes de la distribution ont un peu de mal à atteindre ces sommets ! Pourtant, si le Telramund du baryton-basse russe Evgeny Nikitin s’étiole un peu, la voix blanchissant parfois et manquant souvent de mordant, le personnage demeure fortement caractérisé, bloc de violence âpre en même temps que brute déchirée parce qu’humilié. D’autant qu’il est aux mains d’une manipulatrice terrifiante, sa femme Ortrud, qui le domine : la mezzo allemande Petra Lang possède son rôle sur le bout des doigts et des lèvres, sorte de Bette Davis à la voix noire et aux éclats sardoniques, avec parfois quelques aigus un peu durcis mais toujours cet engagement, cette puissance d’un chant qui exprime ce désir de pouvoir et lui donne sa force ardente. On saluera aussi la voix somptueuse de la basse coréenne Kwangchul Youn dans le rôle du Roi, même si son incarnation scénique ne hisse pas au niveau de la réussite vocale…

La mise en scène de l’allemand Andreas Homoki n’est pas nouvelle (elle date de 2014) mais elle demeure très efficace : toute entière resserrée dans une sorte de salle de village bavarois aux hautes parois de bois, elle est portée par une direction d’acteurs qui, sans prétention dramaturgique, donne à voir à la fois la continuité du récit et renforce l’impact musical de l’opéra – même si ce « réalisme » assumé bride un peu le caractère romantique de la partition : les apparitions du cygne manquent ainsi un peu de magie... De toutes façons, c’est la musique qui fait le triomphe de cette soirée de grande classe.

Alain Duault

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