Le point de vue d'Alain Duault : l’Opéra, le film

Xl_lopera-bron-2017 © DR

C’était une énorme gageure, c’est une réussite totale ! Le film documentaire réalisé par Jean-Stéphane Bron devrait être montré à tous, ceux qui aiment l’Opéra de Paris et ceux qui le brocardent, ceux qui s’enflamment inconditionnellement à chaque représentation et ceux qui ronchonnent contre les coûts qu’il génère, ceux qui « adooorent » sans rien connaitre et ceux qui sifflent parce qu’ils croient connaitre. Oui, c’est surtout à ceux qui sifflent qu’on devrait le montrer : car quelle que soit la déception que peut procurer un spectacle, quelles que soient les erreurs ou les insuffisances qu’on y peut repérer, ce ne sont que des broutilles en regard du formidable engagement de tous ceux qui, soir après soir, concourent à ce que le spectacle ait lieu ! Et si ceux qui sifflent découvraient la montagne de travail, d’énergie, de force de conviction, de doute, de souffrance, d’espoir, de passion nécessaires à l’accomplissement d’un opéra, peut-être sauraient-il faire preuve d’un peu plus d’humilité quand, assis tranquillement dans leurs fauteuils, ils s’avisent de jeter aux orties ce dont ils n’ont pas même idée ! En ce sens, L’Opéra est un film moral. Il ne juge pas, il montre.


Olga Peretyatko, extrait du film « L’Opéra » ; © DR

Et ce qu’il montre est impressionnant, du haut de la pyramide jusqu’en bas, de l’activité, incessante et sur tous les fronts, de Stéphane Lissner, le directeur, à tout ce qui constitue ce qu’on pourrait appeler le peuple de l’ombre de l’Opéra de Paris. Une image entre mille : Olga Peretyatko, la diva russe, est en train de chanter Gilda de Rigoletto, elle donne tout d’elle-même ; et à deux pas d’elle, en bord de coulisse, une assistante anonyme, invisible, se tient prête, avec une boîte de mouchoires et une bouteille d’eau, avec aussi dans les yeux une admiration fervente, et avec, au moment où, en nage, la jeune soprano quitte la lumière et vient en coulisse, ce sourire anonyme, tout empreint de bonté, un sourire dont on perçoit qu’il fait du bien à Olga Peretyatko, qu’il la récompense. Une des forces de ce film est là : il ne fait jamais parler tel ou telle, aucun discours, aucune pose, simplement la vérité d’un geste qui est bien plus expressif parce qu’il raconte comment la passion habite, bien sûr, tous les artistes mais aussi ceux qui œuvrent pour eux, ceux qui sont là pour que l’entrée en scène soit juste, pour que chaque chose soit prête afin que cet incroyable écheveau de talents, de nécessités, d’impératifs, semble se dérouler porté par une évidence tranquille. En cela, c’est aussi un film, au sens le plus fort, social.

Non pas, ce serait trop réducteur, parce qu’il se préoccuperait de donner la parole à telle ou telle catégorie mais bien parce qu’il montre combien l’Opéra de Paris est une société, avec ses tensions bien sûr, ses secousses même, ses moments d’émotion (Christian Schirm annonçant à un jeune chanteur russe de 21 ans, à la suite de son audition, qu’il est engagé par l’Opéra de Paris), ses touches ironiques aussi, du trébuchement de Stéphane Lissner sur un balcon au casting d’un énorme taureau pour les besoins de la mise en scène de Moïse et Aaron. Parce que cette société est vivante, du matin au soir, et surtout parce qu’elle est en permanence en activité, en suractivité presque, en tension tout le temps. Imagine-t-on le nombre de répétitions que nécessite chaque production ? On reste d’ailleurs bouche bée devant le travail incessant de Philippe Jordan, son perfectionnisme absolu, sa facilité à passer d’une langue à l’autre puis à une troisième avec les chanteurs internationaux qu’il croise, sa connaissance par cœur de tous les opéras qu’il dirige – et tout cela avec une bonne humeur, une gentillesse, une générosité qui n’ont d’égale que sa détermination à aller chercher le meilleur chez tous.


Extrait du film « L’Opéra » ; © DR

Stéphane Lissner, extrait du film « L’Opéra » ; © DR

Moral, social, c’est enfin un film choral : tout le monde y a sa place et tout le monde est indispensable, de la régisseuse de plateau qui chante par cœur, en même temps que le ténor qui est en scène, l’air des Maîtres Chanteurs, à la danseuse qui va jusqu’au bout de sa variation et, ensuite, s’effondre à terre, dans l’ombre de la coulisse, comme si elle n’allait pas réussir à retrouver sa respiration. Et puis dans ce grand chœur de l’Opéra de Paris, il y a l’omniprésence de Stéphane Lissner, dans son bureau, en coulisses, dans la salle, partout, en dialogue avec un metteur en scène ou – scène saisissante – au téléphone avec Benjamin Millepied au moment de sa rupture avec le Ballet de l’Opéra, ou encore, ayant fait monter tous les personnels sur scène, trouvant les mots justes pour associer l’Opéra de Paris à l’émotion face à la tragédie du 13 novembre. Ce qu’on a coutume de voir du directeur et à quoi on le réduit parfois – serrer des mains, sourire à tel ou telle, sembler serein –, n’est rien en regard de ce qui, au contraire, l’accapare sans cesse  : la réalité obsédante de la tâche de Stéphane Lissner est là palpable – et l’on salue la performance de Jean-Stéphane Bron d’avoir réussi à le convaincre de se laisser filmer sans droit de regard dans la continuité de toute sa première saison, jusqu’à des moments quasi confidentiels, de la préparation de sa conférence de presse (où perce l’ironie dans le montage – et il faut d’ailleurs saluer l’extraordinaire réussite de ce montage, d’un bout à l’autre du film, un montage signé Julie Lena) à une réunion particulièrement éclairante sur la question des prix de billets.

Alors, direz-vous, et les stars ? Les voit-on ? Oui, bien sûr, mais brièvement, Jonas Kaufmann en répétition de La Damnation de Faust, Bryn Terfel accueillant le jeune chanteur russe qui vient d’intégrer l’Opéra, Olga Peretyatko, à peine sortie de scène, restant au bord, tendue, écoutant son partenaire terminer son air et, à l’explosion des bravos, exultant avec lui, le poing levé en signe de victoire, quelques danseuses… Mais l’objet de ce film n’est pas de montrer des spectacles, n’est pas de faire applaudir des stars individuelles mais bien de montrer que la star, c’est l’Opéra de Paris. Et ce formidable film donne envie d’y courir, de l’aimer, d’aimer tous ceux qui le font exister.  

Alain Duault

L'Opéra, film de Jean-Stéphane Bron, sortie en salle en France le 5 avril 2017

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