Le point de vue d’Alain Duault : L’Ami Fritz s’est arrêté à Gattières

Xl_lamico-fritz---festival-de-gattieres-2025---alain-duault © Sophie Kilian / Opus Opéra

Gattières, une petite commune des Alpes-Maritimes, près de Nice, à un jet de pierre de Saint-Laurent-du-Var, juchée au sommet d’une colline d’où la vue est splendide : on y voit la mer. 4 300 habitants et un Festival lyrique ! En effet, depuis plus de 30 ans, Gattières a un rendez-vous annuel avec l’opéra : rien de marquant dans ces représentations mais l’expression d’une passion locale pour l’art lyrique. Cependant, d’année en année, le Festival s’étiole. Jusqu’à ce que la Maire, Pascale Guit Nicol, décide il y a deux ans de passer à la vitesse supérieure, de professionnaliser l’aventure pour la faire mieux rayonner. On nomme un Président – en l’occurrence une Présidente, Stéphanie Courmes, dont la force tranquille qui émane d’elle montre une femme qui veut faire avancer les choses, un Directeur artistique, Yves Courmes (par ailleurs Président du Cercle Richard Wagner de Nice et bon connaisseur lyrique comme en témoigne son livre, Chroniques musicales azuréennes, paru en 2022), et l’équipe de bénévoles déjà constituée s’étoffe de nouveaux Gattiérois et Gattiéroises qui, sans être forcément des férus de l’opéra, aiment les voix et surtout aiment cette convivialité qu’on perçoit quand on arrive à la Montée du château, la « place de l’Opéra » de Gattières. On y accède par un lacis de ruelles pentues jusqu’à ce « campiello » à la Goldoni, bordé par des maisons dont la vue des chanceux qui les habitent est idéale sur les spectacles…

L'Amico Fritz - Festival de Gattieres 2025 (c) Sophie Kilian / Opus Opéra
L'Amico Fritz - Festival de Gattieres 2025 (c) Sophie Kilian / Opus Opéra

C’est là que, cet été, le Festival a proposé une nouvelle production de L’Amico Fritz, le deuxième opéra de Pietro Mascagni, qu’il compose à 28 ans, dans la foulée du triomphe de sa Cavalleria rusticana. C’est un très joli ouvrage pastoral, parfaitement en situation dans cet environnement au charme simple et vrai, mais qui exige un soin particulier accordé à la fine orchestration et au tissage vocal qui montrent chez Mascagni une maitrise peut-être encore plus affirmée que dans sa Cavalleria rusticana dont l’ardeur peut être étouffante. C’est là que la nouvelle équipe  du Festival de Gattières marque un point décisif : car on ne peut respirer le parfum subtil de cet ouvrage sans un véritable orchestre pour le porter.

Or Yves Courmes a eu la bonne idée de demander à Bertrand Rossi, le directeur de l’Opéra de Nice, une des maisons lyriques les plus vivantes de France, de s’associer au Festival avec son Orchestre Philharmonique de Nice. Et c’est gagné : la « patte » d’un tel orchestre, habitué des productions les plus diverses de l’Opéra de Nice, apporte à la fois une caution, une légitimité et une authenticité musicale au spectacle. Il faut saluer l’engagement de ces musiciens qui mettent leur talent au service du Festival, comme on y est accoutumé en Autriche ou en Allemagne mais guère en France. Alors qu’on nous rebat les oreilles de grands mots sur la nécessaire décentralisation, sur la démocratisation, ou la ruralité, voilà une manière en acte de répondre à ces nécessités.

Mais, au-delà du geste social, il faut aussi saluer le travail tout en finesse des quelque vingt-cinq musiciens réunis au pied de l’estrade, elle-même adossée au mur qui soutient une haute maison de trois étages servant de décor de fond. En dépit d’une cheffe, la jeune Polonaise Barbara Dragan, d’une rigueur métrique irréprochable mais d’une absence totale d’italianité, de ce rubato orchestral indispensable pour recréer la respiration de cette musique sensuelle, les musiciens, rompus à ce répertoire, parviennent à en déployer des couleurs, des bois (entre autres les clarinettes ou la flûte) aux cordes (avec la performance de Vera Novakova, la première violon supersoliste de l’Orchestre qui joue avec une belle musicalité la mélodie de Beppe, la tzigane) sans oublier la harpe. C’est l’orchestre qui fait vivre ce spectacle : chapeau bas !

L'Amico Fritz - Festival de Gattieres 2025 (c) Sophie Kilian / Opus Opéra
L'Amico Fritz - Festival de Gattieres 2025 (c) Sophie Kilian / Opus Opéra

Mais un opéra, s’il a besoin d’un orchestre pour s’épanouir, a besoin de voix pour se déployer. Là encore, le choix d’Yves Courmes est gagnant – à l’exception malheureusement du rôle-titre, le ténor italien Davide Battiniello qui, pourtant précédé d’une réputation flatteuse, ne répond pas à ce qu’exige le rôle de Fritz : la voix semble terne, fermée, sans projection, ne portant guère le personnage de ce riche propriétaire terrien qui refuse le mariage… jusqu’à être pris à son piège. Peut-être un passage à vide regrettable mais c’est le bémol du spectacle. Il en fait d’autant plus resplendir la qualité de l’ensemble des autres artistes, en premier lieu l’éblouissante Suzel de Charlotte Bonnet. On a connu cette jeune soprano ces dernières années avec déjà une voix dont le timbre opalescent retenait l’attention, mais dont le bas médium semblait ne pas s’ouvrir : quelle évolution ! La voix, très lyrique, s’offre avec une parfaite égalité dans toute sa longueur, la chair du timbre s’est fruitée, la projection est enthousiasmante et la présence radieuse : c’est la grande révélation du spectacle. Mais le baryton du jeune belge Ivan Thirion, qu’on a lui aussi entendu moins affirmé, s’accorde à ce succès dans le rôle du maire entremetteur : timbre ambré, ligne souple, clarté de la projection, tout y est. Il faudra qu’il n’hésite pas à jouer avec plus de délié mais c’est assurément une belle voix à suivre. La Beppe de la mezzo espagnole Noélia Ibanez mérite aussi qu’on la réentende : son beau timbre grave et sa présence ardente en donnent envie. Tout comme la fine Caterina de l'Ukrainienne Milena Logacheva, le Federico du ténor Pierre Eladlia et surtout le baryton-basse russe Alan Starovoitov : ils sont les témoins que tous les rôles ont été choisis avec attention.

Si la mise en scène de Jeanne Pansard-Besson ne bouleverse pas, elle ne dérange pas : tout s’enchaine avec fluidité, dans une épure teintée d’une actualisation bienvenue – mais à vrai dire on ne venait pas pour découvrir une réflexion sur un ouvrage qui est avant tout une délicieuse comédie lyrique – dont on s’étonne qu’on ne la donne pas plus souvent : la dernière production française date de 11 ans, à Strasbourg, au moment où l’Opéra du Rhin était dirigé par un certain Bertrand Rossi… Quoi qu’il en soit, la soirée est un triomphe, les quelque deux cents spectateurs qui remplissent tous les gradins de la petite place sont ravis et ils le manifestent en particulier à Charlotte Bonnet, à Ivan Thirion et aux musiciens de l’Orchestre Philarmonique de Nice : ils ont raison, ce sont les artisans de cette incontestable réussite.

Alain Duault
Gattières, 19 juillet 2025

L'Amico Fritz au Festival de Gattières, le 15, 17 et 19 juillet 2025

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