Le point de vue d’Alain Duault : La Walkyrie à l’Opéra de Paris, le moche et le beau

Xl_la-walkyrie_opera-de-paris_2025_tamara-wilson © Herwig Prammer / OnP

Après le sinistre Or du Rhin de la saison dernière, on pouvait soit espérer soit se résigner : c’est à la seconde option qu’il faut se résoudre. Le metteur en scène Calixto Bieito se montre aussi indigent pour ce deuxième volet du Ring, dans un décor d’une parfaite laideur, des costumes à l’avenant, une prolifération de vidéos sans nécessité et une direction d’acteurs paresseuse. Sans parler des aberrations dramaturgiques, comme le fait que Wotan tue Siegmund avec l’épée Notung, c’est-à-dire sans le secours de sa lance, oubliant carrément la présence de Hunding dans ce huis clos à trois devenu une rencontre de hasard dans un fatras de fils rouges, ceux qui relient les machines de ce data center foutraque, au milieu de fauteuils rouges eux aussi dont on s’interroge sur la fonction ici !... Et comment peut-on avoir accepté d’enfermer les chanteurs dans une sorte de boîte suspendue, réduisant ainsi l’espace de jeu à presque rien (alors qu’un des avantages de l’Opéra Bastille est la vastitude de sa scène) et de surcroit étouffant leurs voix – ce dont on se rend compte quand ils en descendent et révèlent enfin leurs timbres.

On peut aussi se demander la nécessité d’un chien-robot qui traverse la scène de jardin à cour puis de cour à jardin, frôlant Brünnhilde qui n’en peut mais. Si cela avait été un cheval mécanique (comme celui du spectacle d’ouverture des Jeux Olympiques), on aurait pu comprendre qu’il s’agissait de Grane, le cheval de la Walkyrie – mais un chien ! D’autant qu’on préfère ne pas savoir combien a pu coûter un tel gadget inutile… Est-ce pour cela que la scène finale, quand Brünnhilde doit être encerclée de flammes par Wotan, se limite à la projection d’un peu de fumée avec une vague coloration orangée ?

La Walkyrie - Opéra National de Paris (2025) (c) Herwig Prammer / OnP
La Walkyrie - Opéra National de Paris (2025) (c) Herwig Prammer / OnP

En fait, toute la mise en scène est ainsi, masquant sa vacuité intellectuelle derrière des trucs, des vidéos en pagaille, des objets sans utilité, et par-dessus tout un total laisser aller dans la conduite des personnages. Est-ce d’ailleurs parce qu’il a étéconscient in fine de ce vide que Calixto Bieito a préféré ne pas venir saluer à la fin du spectacle ? Le seul problème est que, après ces deux ratages, on peut se demander ce qu’on va devoir subir avec les deux derniers volets de ce Ring.

Heureusement, un opéra c’est bien sûr du théâtre et de la musique : il y a plus de satisfactions de ce côté. On déplorera pourtant qu’on continue à confier ce vaste empire musical à la baguette banale de Pablo Heras-Casado. Il n’avait pas convaincu dans L’Or du Rhin, il ne convainc pas plus dans La Walkyrie : en fait, au-delà de questions de synchronisation des pupitres, de quelques défauts d’intonation de tel ou tel groupe, la matière sonore du bel Orchestre de l’Opéra de Paris fait de la résistance. Mais le vrai problème demeure l’absence totale de vision du chef, la platitude, le prosaïsme de ses phrasés, le manque d’élan tout comme d’éclairage des textures, l’absence totale de lyrisme (pour une œuvre qui, pourtant, en regorge !). Une purge !

La Walkyrie - Opéra National de Paris (2025) (c) Herwig Prammer / OnP
La Walkyrie - Opéra National de Paris (2025) (c) Herwig Prammer / OnP

Mais si le moche visuel et la fadeur orchestrale pourraient définitivement frustrer, on sort pourtant de cette représentation dans un bonheur vocal qui contrebalance cette médiocrité. Car la distribution réunie par Alexander Neef est, à la différence de celle de L’Or du Rhin, totalement convaincante.

Tout y tutoie la beauté, en commençant par les deux premiers protagonistes, le Siegmund de notre ténor français Stanislas de Barbeyrac, voix pleine au timbre doré, à la projection intense, lumineuse, à la présence ardente, et la Sieglinde de la rayonnante Elza van den Heever, une des plus grandes sopranos dramatiques d’aujourd’hui, voix laser qui traverse le ciel du théâtre tout comme elle sait se plier à l’expression de l’émotion pure : un couple exceptionnel ! Le Hunding de Günther Groissböck, qu’on entend chaque année à Bayreuth, affirme encore une fois sa suprématie dans les clés de fa. Mais on applaudira aussi à l’engagement en Wotan du superlatif Christopher Maltman (à défaut de notre Ludovic Tézier espéré…), dont l’autorité vocale de chaque instant impressionne, portée par ce timbre d’airain qu’il projette avec une liberté gestuelle étonnante. Et la Brünnhilde de Tamara Wilson n’est pas en reste (en dépit des costumes exécrables qu’on lui impose, sans parler de l’absurde tête de cheval de bois qu’elle doit chevaucher !) : sa voix résiste à tout, avec cette immensité de souffle, cette vigueur des aigus, cette vaillance qu’elle communique, une grande ! On n’oubliera pas Eve-Maud Hubeaux, impeccable comme toujours en Fricka impétueuse (nonobstant la perruque blonde et la cape bleu layette dont on l’affuble !), avec cette voix de braise ardente, ni les Walkyries toutes impeccables, de Louise Foor à Marie-Andrée Bouchard-Lesieur ou Laura Wilde, mais elles sont vraiment toutes parfaites. Un bonheur vocal qui « compense » la laideur visuelle – mais ce sont ces voix superbement engagées qui font de ce spectacle, quoi qu’il en soit, un des grands rendez-vous de cette rentrée.

Alain Duault
Paris, le 11 novembre 2025

La Walkyrie à l'Opéra national de Paris Bastille, du 11 au 30 novembre 2025

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