Le point de vue d’Alain Duault : La Cage aux folles au Châtelet, « wonderfolle »

Xl__la-cage-aux-folles---theatre-du-chatelet---laurent-lafitte-c-thomas-amouroux---alain-duault © La Cage aux folles, Théâtre du Châtelet (c) Thomas Amouroux

En 1973, La Cage aux folles, la pièce de Jean Poiret, avec l’inénarrable Michel Serrault, a été un événement, pas seulement du fait du formidable succès de cette pièce de boulevard mettant en scène avec tendresse ce qui était alors un impensé, sinon dans le registre du graveleux. Le film a amené La Cage aux Etats-Unis : c’est là que Jerry Hermann, l’heureux auteur d’Hello Dolly, la découvre et pressent sa potentialité à la fois d’entertainment et de réflexion sociétale au moment où le sida va ravager la communauté homosexuelle à travers le monde. Avec son librettiste Harvey Fierstein, il va en tirer une comédie musicale qui va enflammer Broadway où elle va triompher des années durant. Son retour au Théâtre du Châtelet grâce à Olivier Py (qui, décidément, est un directeur qui sait de saison en saison donner à ce théâtre une couleur qui mêle le plaisir du spectacle à l’intelligence : on se souvient de son formidable Peer Gynt par exemple), ce retour est un retour gagnant en ce qu’il fait progresser la pièce en spirale, c’est-à-dire en gardant tout ce qui était la base farcesque du récit de Jean Poiret mais dans cette mise en perspective dynamique d’une société plus préoccupée aujourd’hui de tolérance vis-à-vis des minorités – et ce au rythme étourdissant d’une musique au swing qui ne se relâche jamais.

Il faut dire que le spectacle est littéralement époustouflant – à partir de l’idée forte de la comédie musicale, celle de montrer le cabaret dont on ne faisait que parler dans la pièce initiale. Et là, Pierre-André Weitz, l’habituel partenaire d’Olivier Py, a imaginé des décors et des costumes en permanent renouvellement, grâce à l’utilisation de miroirs et, si l’on ose dire, de miroirs de miroirs, c’est-à-dire d’un feu d’artifice d’illusion, qui est aussi un des éléments de ce regard de l’autre, au centre de cette tendre leçon d’amour et de reconnaissance qui est au cœur de la pièce. Avec une tournette qui offre des perspectives visuelles multiples, du trompe-l’œil délibérément nostalgique d’une plage de Saint-Tropez au grand escalier de miroirs et de lumières, en passant par un simple bar de quartier ou un intérieur, celui de Georges et Albin-Zaza.

La Cage aux folles - Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
La Cage aux folles - Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux

Ce couple, du fait d’une « erreur de jeunesse » de Georges, a un fils, Jean-Michel, qui n’a pas hérité de l’inclination homosexuelle de ses « parents » et est follement amoureux d’une jeune femme, Marie, laquelle est la fille d’un homme politique, Edouard Dindon, leader caricatural d’un parti guère enclin à la tolérance. Et, bien sûr, puisque les jeunes gens souhaitent se marier, il faut bien que les deux familles se rencontrent – et là surgit un problème car la « mère » de Georges, qui l’a élevé, qui a veillé sur lui, qui l’a aimé, et qui l’aime toujours, est difficilement « présentable » à une famille à l’idéologie pour le moins réactionnaire. Mais ce thème de l’homoparentalité va permettre à Albin et Georges un retour tendre sur leur couple, sur ce qu’il a vécu, sur cet amour qui est leur moteur, sans qu’il n’ait rien à renier – et dont la chanson « Je suis moi » est en quelque sorte l’emblème.

Des décors éblouissants, des costumes affolants, un rythme à la fois du récit théâtral mais aussi de la musique, menée avec une vivacité colorée et pétillante par Stéphane Graperon à la tête de ses Frivolités parisiennes – dont on connait depuis longtemps l’efficacité dans tous les registres musicaux : tout cela est nécessaire à la réussite du spectacle.

Laurent Lafitte (Albin- Zaza) - La Cage aux folles - Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
Laurent Lafitte (Albin- Zaza) - La Cage aux folles - Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux

Mais tout cela ne serait que trop peu s’il n’y avait la sensationnelle interprétation des protagonistes de cette aventure, les danseurs/seuses d’abord, c’est-à-dire les douze « cagelles », des garçons plus filles que certaines, dont la virtuosité individuelle et d’ensemble rythme le spectacle sur le grand escalier où elle arborent leurs plumes d’autruche et leurs paillettes avec un naturel de grande maison, l’ensemble des comédiennes et comédiens qui jouent, chantent et dansent avec une bonne humeur contagieuse, et en particulier le couple formé par Georges, le ténor Damien Bigourdan, toujours juste, émouvant, digne, même quand il est écartelé dans ses sentiments, et l’incroyable, l’inénarrable, l’incalculable, l’ineffable, le phénoménal, l’invraisemblable mais vrai Laurent Lafitte, comédien accompli (on le savait) mais aussi chanteur (c’était moins évident), danseur, meneur de revue, improvisateur (quand il se promène au milieu du public et échange avec quelques-uns).

Le choix d’Olivier Py est, là, magistral : il fallait pour ce rôle hors norme une nature bien sûr, mais qui aie l’audace suffisante pour oser : Laurent Laffite est Zaza, chante Zaza, joue Zaza mais est aussi Albin – et cette ambivalence permet aussi bien de donner au spectacle une fluidité qu’une force de réflexion, et au final une morale : « On ne vit qu’une fois / Le temps s’amuse à chavirer les roses / On ne vit qu’une fois / L’amour est toujours le plus fort / Bien plus fort que la mort ». Ce spectacle est à la fois un cadeau de Noël et un cadeau pour la vie.

Alain Duault
Paris, 14 décembre 2025

La Cage aux folles au Théâtre du Châtelet, du 5 décembre 2025 au 10 janvier 2026

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