
Une nouvelle production de Don Giovanni est toujours en soi un événement excitant tant « l’opéra des opéras » demeure une œuvre des plus passionnantes de l’univers lyrique et a offert, ces dernières années, des éclairages multiples, diversifiés et souvent passionnants (fut-ce même quand ils sont contestables), des productions de Michael Haneke ou Claus Guth à celle de Romeo Castellucci. Autant dire que ce Don Giovanni aixois était attendu avec impatience ! La déception n’en a été que plus grande tant le spectacle signé du metteur en scène britannique Robert Icke se distingue par sa vacuité théâtrale. Pas de matière à scandale assurément mais l’étonnement qu’on puisse rendre un chef-d’œuvre comme Don Giovanni ennuyeux : en témoigne la tiédeur des réactions du public, comme rendu indifférent à ce qui se passe sur scène.
C’est d’autant plus dommage qu’il y a des beautés musicales dans cette production, à commencer par la direction très allante de Simon Rattle, à la tête d’un Orchestre de la radio bavaroise aux inflexions moirées et aux phrasés subtils sous la baguette d’un chef qui respire la jeunesse ! Le contraste avec la mise en scène n’en est que plus attristant – même si la distribution réunie n’est pas non plus de celle avec lesquelles on fait les grands Don Giovanni. À commencer par le rôle-titre, le baryton italien André Schuen, voix élégante au timbre (trop) clair mais sans rien du mordant, de l’animalité du prédateur que doit recéler le personnage : jeune homme désabusé en survêtement blanc à capuche, il glisse ici, invisible à tous, malade semble-t-il au deuxième acte quand il se balade, perfusion à la main, sans parvenir à s’intéresser à ceux qu’il croise, ni à intéresser le public. Seule sa sérénade, sussurée à la petite fille qui revient à plusieurs reprises comme un signe d’une possible inclination pédophile, touche par la subtilité de sa ligne – mais le « monstre » n’est jamais là.
Don Giovanni, par Robert Icke, au Festival d’Aix-en-Provence (c) Monika Rittershaus
Plus en situation serait le Leporello de la basse polonaise Krzysztof Baczyk, voix noire à souhait, s’il n’était sous-utilisé en sorte de barman chic qui demeure comme en dehors de l’action. Si la Zerlina de Madison Nonoa peut séduire par sa présence, sa voix est trop légère pour un si vaste espace, au contraire de la grande voix de Golda Schultz, bien chantante mais qui semble peu concernée par ce qui se passe, telle une guest qui vient chanter ses airs mais sans participer au récit. Seule Magdalena Kozena parait avoir de l’empathie pour ce Don Giovanni évanescent et son Mi tradi au deuxième acte, ardent et douloureux, réveille le public qui applaudit (ce qu’il n’a fait pour aucun des « tubes » jusque-là, de l’air du catalogue à celui du champagne !). Le Masetto de Pawel Horodyski est dans la tradition du personnage sans rien imposer mais au moins chante-t-il, alors que l’Ottavio d’Amitai Pati semble absent tant son filet de voix sans aucune projection annihile le personnage. Rien d’inoubliable donc, des individualités plus ou moins satisfaisantes mais dont il ne reste rien parce que rien ne s’imprime.
Mais comment trouver de l’intérêt à une action qui n’existe pas, plongée dans un vaste espace sans ressort – est-ce un hall d’entrée, une station de métro, un sous-sol d’aérogare ou d’hôpital ? – dont la grisaille se prolonge dans la grisaille des costumes ? Comment s’intéresser à un propos qui semble l’esquisse d’un projet dans lequel on a listé, entassé un certain nombre de directions dramaturgiques sans en faire aboutir une seule ? En fait, ce qui manque le plus à ce Don Giovanni inabouti, c’est la passion, comme si le personnage et cette force ardente qu’il porte en lui avait fait peur au metteur en scène, transformant le fauve en un animal de compagnie qui s’étiole comme son maitre, ce Commandeur apparaissant comme un Don Giovanni vieilli, seul dans son salon, réécoutant les vieux enregistrements d’une existence brûlante qu’il ne nous est pas donné de partager. Dommage.
Alain Duault
Aix-en-Provence, 8 juillet 2025
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09 juillet 2025 | Imprimer
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