Deux ténors, deux styles, deux bonheurs

Xl_hymel-beczala2 © DR

Piotr Beczala est un ténor polonais, Bryan Hymel un ténor américain. Tous deux ont comme particularités d’être encore peu connus en France alors qu’ils sont chacun des stars un peu partout dans le monde. La parution quasi simultanée de deux disques dédiés par chacun à l’opéra français permet de dessiner des lignes de perspective qui montrent qu’il faut dorénavant compter avec ces deux voix d’or – au moment où l’un, Piotr Beczala, reprend le rôle de Faust à l’Opéra Bastille, et où l’autre est annoncé en Alfredo de La Traviata dans la prochaine saison de l’Opéra de Paris qu’a présentée par Stéphane Lissner.

Sous le titre « The French Collection », Piotr Beczala a réuni quelques-uns des « tubes » de ce répertoire du XIXème siècle français qui permet aux plus grands ténors de mettre les publics en transe – de Massenet à Bizet ou de Berlioz à Gounod sans publier les Donizetti ou Verdi composés en français pour l’Opéra de Paris. Si l’on passe sur la laideur de la couverture, on est durant plus d’une heure sous un charme ininterrompu qui tient à un ensemble de qualités rarement réunies à ce point chez un même chanteur : la clarté de l’émission vocale, la netteté de la prononciation, la manière de faire naitre le mot, de l’accompagner pour qu’il exprime (au sens où on le dit du jus d’un fruit) tout son sens, l’évidence des intentions expressives, l’intelligence du chant, tout cela porté par une voix au timbre chaud, riche de couleurs multiples, de nuances, de flexions, une tenue de souffle impressionnante, des aigus faciles (du si bémol de l’air de la fleur de Carmen, tout en douceur évanescente, au lumineux contre ut de l’air de Faust !), bref une apothéose – dynamisée de surcroît par la direction elle-même superlative d’Alain Altinoglu à la tête de l’Orchestre de Lyon. Dans la lignée des Nicolaï Gedda ou Alfredo Kraus, Piotr Beczala, au-delà même du style, affirme là ce qui manque le plus aujourd’hui, un goût.

Tout aussi réussi est le disque de Bryan Hymel, à partir d’une volonté totalement différente : autant Piotr Beczala offre un bouquet de tubes du XIXème siècle, autant le ténor américain, s’inscrivant pourtant dans la même période, propose de l’inédit, de la découverte à travers une douzaine d’airs fort peu connus voire complètement inconnus ! Volonté de sortir des sentiers battus, curiosité, adaptation aussi du répertoire aux moyens propres de l’artiste, il y a sans doute un peu de tout cela dans ce disque passionnant. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas, Bryan Hymel chante aussi sur les plus grandes scènes du monde les Don José, Des Grieux, Werther et autres Faust – mais il a voulu pour son premier disque-récital proposer ce défrichage en forme de défi. Le résultat est d’abord un émerveillement devant la qualité de nombre de ces airs si peu fréquentés, depuis « Inspirez-moi, race divine ! » de La Reine de Saba de Gounod (qui exige un souffle de Heldentenor) jusqu’à « Chante vieux jardin » de Gaspard, Rolande et le mauvais garçon du bien oublié Henri Rabaud, en passant par « Le bruit des chants s’éteint » du Sigurd de Reyer. C’est aussi un sentiment d’ « exotisme » en retrouvant les versions originales des airs tirés de deux opéras composés par Verdi pour l’Opéra de Paris, Jerusalem et Les Vêpres siciliennes ou du Guillaume Tell de Rossini. C’est enfin le plaisir de retrouver des airs des Troyens ou de La Damnation de Faust de Berlioz ou encore de L’Africaine de Meyerbeer.

Et bien évidemment, ce disque permet aussi de savourer l’art de Bryan Hymel. Sa voix de vrai ténor dramatique ne possède peut-être pas la souplesse et la rondeur de celle de Piotr Beczala, quelques brèves sonorités nasales peuvent brièvement atténuer le plaisir, le raffinement expressif ne semble pas non plus son obsession première – mais on rend les armes devant une émission aussi franche, un timbre aussi plein, une projection aussi impressionnante, des aigus aussi rayonnants (Bryan Hymel, tel un ogre, parait ne faire qu’une bouchée des nombreux contre ut semés sur son passage !). Décidément ce jeune ténor (il n’a que 35 ans) impressionne autant qu’il surprend et ce disque original, par ailleurs superbement accompagné par Emmanuel Villaume à la tête du Philharmonia de Prague, a toutes chances de marquer un beau jalon dans un parcours qui, d’ores et déjà, s’annonce au plus haut niveau.

Alain Duault

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading