Des Noces sans amour au Festival d'Aix-en-Provence

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On sait que le Festival d’Aix s’est construit sur Mozart, sur l’amour de Mozart, sur la volonté de sa reviviscence. On se réjouissait donc de retrouver Les Noces de Figaro, ce chef-d’œuvre qui porte un esprit, une élégance, une vie, tout ce dont on a besoin en ce moment. Hélas, dans cette production signée de la néerlandaise Lotte de Beer (dont la vacuité de l’Aïda à l’Opéra de Paris au printemps dernier n’était pas un bon souvenir), l’esprit est devenu balourdise, avec une accumulation fatigante de gags, d’effets gratuits, tout un fatras anecdotique qui fait perdre le fil du récit, l’élégance est devenue confusion, rires forcés, vision réductrice, avec des idées qui, dans leur répétition obstinée, perdent tout impact, la vie est devenue tohu-bohu, vision noyée par le toujours plus, entassement, étouffement – et surtout, c’est le défaut majeur, absence d’émotion.


Les Noces de Figaro, Festival d'Aix-en-Provence © Jean-louis Fernandez

Bien sûr, on ne peut nier à Lotte de Beer une virtuosité, un réel savoir-faire technique : elle sait occuper un plateau, elle sait diriger des acteurs mais elle court sans cesse après une thèse, voire plusieurs thèses, dont elle cherche les illustrations dans tous les sens en n’utilisant plus l’œuvre de Mozart que comme une illustration de ses préoccupations personnelles. Un peu plus d’humilité ne messiérait pas et ce n’est pas en s’abritant derrière le sous-titre de « folle journée » qu’on peut s’autoriser à transformer une fantaisie en carnaval foutraque, une commedia dell’arte (que le joli « résumé » de l’œuvre donné à l’avant-scène pendant l’Ouverture fait espérer) en farce lourdingue où tout est surligné – sans que n’affleure la tendresse et la mélancolie qui sont pourtant au cœur de ces Noces, comme de beaucoup d’autres de Mozart. Il faut aimer Mozart pour le bien servir plutôt que s’en servir en oubliant l’amour.


Les Noces de Figaro, Festival d'Aix-en-Provence © Jean-louis Fernandez


Les Noces de Figaro, Festival d'Aix-en-Provence © Jean-louis Fernandez

On pourrait se dire que la musique en a vu d’autres, que sa force est telle qu’elle peut dépasser cette indigestion visuelle. Hélas, cette production aixoise pêche aussi du côté de la musique – à une exception près, celle de la Susanna de Julie Fuchs, d’un bout à l’autre superlative. Un timbre rond et souple, mi pêche mi poire, une constante clarté de la ligne, une tenue, un soutien, une musicalité, l’élégance des phrasés, la vivacité mutine : elle porte, elle, ces trois caractéristiques mozartiennes, l’esprit, l’élégance, la vie. Car elle joue avec un naturel qui fait oublier qu’elle chante tant le chant porte le geste et le geste prolonge le chant. Et au dernier acte, son « Deh vieni », la voix en apesanteur, le souffle étiré comme une caresse d’une rare sensualité mais sans une once de surlignage précisément, dans l’évidence du chant nu, apporte soudain cette émotion qu’on attendait. Du grand art, une grande artiste !

Autour d’elle, la distribution n’est en rien indigne mais elle est banale, chacun y chante son rôle proprement, le Figaro discret d’André Schuen, le Comte de Gyula Orendt plus extraverti, la Comtesse de Jacquelyn Wagner, morne (difficile quand même de chanter « Porgi amor » avec plus de platitude !), le Chérubin de Lea Desandre en joli devenir, la Barberine futée d’Elisabeth Boudreault, et tous les autres à l’avenant, en place mais sans cette grâce qui est au cœur du style mozartien – et que possède Julie Fuchs, absolue reine de la soirée. Mais la plus grosse déception vient de la fosse : le Balthasar Neumann Ensemble, formation baroque qui a fait ses preuves semble-t-il dans d’autres répertoires, et son chef Thomas Hengelbrock, montrent là une curieuse inadéquation à Mozart. Des phrasés secs, des ruptures surprenantes, des instruments à l’intonation approximative, une cohérence qui parait se chercher, des décalages incessants, un surjeu « théâtral » qui alourdit le déploiement des phrases : là encore, ni esprit, ni élégance, ni vie.

En fait, ce spectacle pèche, du côté de ses deux architectes, par ce narcissisme qui caractérise nombre de productions aujourd’hui : la metteuse en scène veut démontrer sa thèse, le chef veut affirmer son parti pris stylistique, mais on a l’impression que ni l’une ni l’autre ne se soucient d’aimer Mozart. Or sans amour, que reste-t-il ?

Alain Duault

Crédit photos : © Jean-louis Fernandez

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