La Finta Giardinera à l'Opéra de Lille

Xl_finta © Frédéric Iovino

Quelle merveille que La Finta Giardinera, l'opéra buffa composé par un Mozart de dix-huit ans, pour la Cour du Prince Electeur de Bavière à Munich. Une fois encore, dans la belle production montée par David Lescot pour l'Opéra de Lille - en coproduction avec l'Opéra de Dijon -, on s'étonne de la singularité de cette œuvre, de l'équivoque qu'elle entraîne entre les deux genres quelque peu frères ennemis - le seria et le buffa -, de la gaieté avec laquelle Mozart les fait entrer en osmose, traçant ainsi la voie qui les mènera à ses futures grandes dramaturgies. Ce soir, on ne cesse de ressentir tout au long du spectacle l'étroite connivence dans la conception de l'œuvre, entre le metteur en scène français et la chef d'orchestre Emmanuelle HaïmBuffa certes, gai et vivant, drôle donc, mais seria, si grave et si typé dans son écriture et, dans l'interpénétration des deux genres, le bonheur de la naissance d'un style. 

La force de Haïm est d'avoir su communiquer cette ambiguïté à son excellent Concert d'Astrée, tour à tour espiègle ou grave, constamment frémissant, merveilleux accompagnateur des voix. Ils servent en souplesse cette musique, si fragile encore, lui gardant toute sa fraîcheur, ses humeurs fantasques, se gardant de trop la tirer vers l'avenir.

Sur le plateau, on sent que le metteur en scène (scénographie d'Alwyne de Dardel et costumes de Sylvette Dequest) a pris très au sérieux aussi bien la musique que l'imbroglio du livret de Giuseppe Petrossellini, misant sur l'ambiguité des propositions. La direction d'acteurs, très précise, accentue la rapidité de l'action buffa, ouvrant sur des portes plus sombres – avec un aussi étonnant qu'abrupte changement de décor au milieu du II - où s'exalte la grandeur du seria. Le spectacle dégage une ardeur chaleureuse (émaillé de joyeuses idées scénographiques, comme ce ballet incessant de pots de fleurs et d'arbustes changés à vue au I), à tel point qu'on pense assister à une « Giardinera furiosa » ! Une ardeur si communicative qu'elle pousse les chanteurs au delà de leurs limites.

La soprano américaine Erin Morley montre de grandes affinités avec le répertoire mozartien : son articulation parfaite, son engagement scénique de tous les instants, et son timbre très séduisant qui ne connaît aucun fléchissement sur l'ensemble du registre, en font une Sandrina idéale. Nous languissons déjà de l'entendre incarner Konstanze dans « L'Enlèvement au sérail » qui sera donné à l'Opéra national de Paris, la saison prochaine. Dans le rôle du Podestat, le baryton italien Carlo Allemano donne des leçon de style et de maîtrise technique. Chez lui, le parlando reste l'affaire d'un grand musicien qui maîtrise toutes les facettes de sa voix. L'excellente mezzo Marie-Claude Chappuis (Don Ramiro) – injustement négligée en France - parvient au miracle mozartien du temps suspendu lorsqu'elle phrase superbement, le souffle amirablement contrôlé, comme dans le « Dolce d'amor compagna ». La non moins formidable soprano bordelaise Marie-Adeline Henry remplit un parcours sans faute avec son Arminda volontaire et dominatrice, dont les sautes d'humeur trouvent à s'exprimer – malgré sa voix corsée - dans les vocalises les plus outrées. Quant au ténor italien Enea Scala, il offre au Comte Belfiore une jolie musicalité et un timbre charmeur ; il exprime surtout à merveille la transformation psychologique du personnage, de sa sottise des premières scènes à l'humanité retrouvée. Enfin, le russe Nikolay Borchev, en Nardo, allie la sûreté du style à une véritable aisance scénique, tandis que Maria Savastano – issue de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Paris - compose une piquante et malicieuse Serpetta.

Ceux qui ne pourront se rendre à Lille d'ici le 30 mars pourront toujours se rattrapper à Dijon, qui offrent deux séances supplémentaires, les 9 et 11 avril prochains.

Emmanuel Andrieu

La Finta Giardinera à l'Opéra de Lille : jusqu'au 30 mars 2014

Crédit photographique © Frédéric Iovino

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