The Rake's progress dans l'enfer de la finance au Grand-Théâtre de Limoges

Xl_rakes © Philippe Delval

The Rake’s progress d’Igor Stravinsky a été créé à la Fenice de Venise, sous la direction du compositeur, en septembre 1951. Inspiré par des gravures de Hogarth que le musicien russe a découvertes lors d'une exposition à New-York, l’ouvrage se veut – à l’instar de Capriccio de Richard Strauss –  un hommage du XXe siècle à la culture du XVIIIe. Pour cette coproduction entre le Théâtre de Caen, l’Opéra de Rouen, l'Opéra de Reims, le Grand-Théâtre de Luxembourg et l’Opéra de Limoges, on a fait appel à David Bobée, le jeune et dynamique directeur du Centre Dramatique National de Rouen, qui signe là sa première mise en scène lyrique. Pour échapper à une banale reconstitution d’époque, l’homme de théâtre normand – dans des décors simples mais de bonne facture qu’il signe lui-même – transpose l’intrigue dans la city londonienne d’aujourd’hui : Tom Rakewell se mue ainsi en trader qui perd son âme dans l’enfer de la finance spéculative. L’ensemble, cohérent, plonge dans une ambiance très contemporaine – que rehaussent de nombreuses (et très esthétiques) captations vidéographiques – qui convient particulièrement au livret de Wystan Hugh Auden, d’un sérieux et d’un humour également acides.

Cela dit, le spectacle est une machine à plaisir à laquelle concourent tous les protagonistes, sous la direction exubérante du jeune chef français Jean Deroyer, chef principal de l’Orchestre de Normandie, qui exalte la symphonie de timbres de la partition, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Limoges très bien disposé (et d’un chœur maison superlatif).

Le ténor britannique Benjamin Hulett – que nous avions découvert dans la production rhénane de Das Liebesverbot – est un chanteur comme on en voit peu sur les scènes d’opéra, qui virevolte et bondit, qui semble jouer sa vie dans un rôle où il verse une énergie d’adolescent, et qui emporte donc avec panache le morceau, avec une voix à la fois ronde et juvénile. La soprano suédoise Marie Arnet - de son côté tendre Pamina à l'Opéra de Nantes il y a deux saisons - traduit la jeunesse innocente et l’amour fidèle d’Anne Trulove, aussi bien par le charme de la silhouette que par la voix pure et fraîche. Le baryton américain Kevin Short campe un excellent Nick Shadow : il a dans l’œil cette braise qui suscite l’inquiétude. Ajoutons qu’il a dans la voix des noirceurs et des séductions d’outre-tombe, et une finesse musicale de premier ordre. Mais les comprimari n’ont aucune peine à occuper le plateau, à commencer par la mezzo française Isabelle Druet qui ne fait qu’une bouchée du rôle de Baba la Turque (ici sans barbe), lui conférant même une humanité inattendue lors de son renoncement final. Kathleen Wilkinson brosse en quelques mesures un portrait formidablement drôle de Mother Goose, tandis que la basse Stephen Loges reste un peu en retrait dans la partie de Trulove. Enfin, Colin Judson incarne un Sellem brillant et persuasif dans la conduite échevelée de sa vente aux enchères.

Emmanuel Andrieu

The Rake’s progress d’Igor Stravinsky au Grand-Théâtre de Limoges, les 20 & 22 janvier 2017

Crédit photographique © Philippe Delval
 

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